samedi 20 juillet 2013

Ante portas ! La bataille de Xuan Loc (9-21 avril 1975)

Ante portas1 ! La bataille de Xuan Loc (9-21 avril 1975)


Il y a un peu moins d'un an, je revenais, pour l'Alliance Géostratégique, sur la bataille de Xuan Loc2. J'affirmais, alors, que celle-ci était l'un des rares faits d'armes dont pouvait se vanter l'ARVN3 lors de la campagne ultime du Nord-Viêtnam contre le régime de Saïgon, en 1975. Des lectures réalisées depuis me conduisent à infirmer ce point de vue. Xuan Loc est bien le succès défensif le plus connu de l'armée sud-viêtnamienne à la veille de son effondrement, mais l'ARVN a su, dans d'autres engagements, souvent plus restreints, résister pendant un temps à la poussée nord-viêtnamienne. Si le souvenir de ce succès est plus fort, c'est en raison de la personnalité même de son chef d'orchestre, le général Le Minh Dao, commandant de la 18th Infantry Division, qui a survécu aux camps communistes pour émigrer aux Etats-Unis et participer à l'entretien de la mémoire de l'affrontement, avec de nombreux autres vétérans. Etudier la bataille de Xuan Loc, c'est pourtant toujours, comme je l'affirmais déjà il y a un an, tenter de comprendre pourquoi l'ARVN n'a pu résister à l'offensive de l'armée populaire du Viêtnam. La réhabilitation légitime de la performance sud-viêtnamienne -négligée pendant longtemps par les Américains eux-mêmes, sans parler des Français- ne doit pas masquer l'échec final des Republic of Vietnam Armed Forces, qui ne pouvaient espérer l'emporter, en raison de faiblesses structurelles. C'est en ce sens que la performance du général Dao et de la 18th Infantry Division reste remarquable, car elle montre à la fois le meilleur de l'ARVN et ses limites, qui conduisent à la défaite finale.


Stéphane Mantoux.





Une trêve bien courte


Le 27 janvier 1973, Hanoï et Washington signent les accords de Paris, mettant fin ainsi à l'engagement américain au Sud-Viêtnam. Deux mois plus tard, le dernier soldat américain quitte le pays. Le président-général Thieu, qui avait participé au renversement de Diem en novembre 1963, est alors à la tête du pays depuis 1965. Il a été élu président en 1967, avec le général Ky comme Premier Ministre -dont il se passe au moment de sa réélection en 1971. Thieu a obtenu la promesse de Nixon, en dépit des accords de Paris, qu'une aide économique serait maintenue et que les appareils américains interviendraient en cas d'offensive du Nord-Viêtnam, à l'image de ce qui s'était passé à la Pâques 1972. Mais les accords de Paris n'ont pas abouti au retrait des forces du Nord présentes au Sud-Viêtnam, et bientôt Nixon est fragilisé par le scandale du Watergate qui va conduire à sa démission. Le Sud-Viêtnam est handicapé par une économie chancelante, par la corruption et par un moral qui s'effondre : la situation locale n'intéresse plus la majorité des Américains qui souhaite plus que tout oublier ce conflit. Le cessez-le-feu conduit à un arrêt temporaire des combats sauf dans certains secteurs des IIème et IVème corps.

Source : http://www.kingsacademy.com/mhodges/03_The-World-since-1900/11_The-Bewildering-60s/pictures/K+S-569_map_Vietnam-War_1961-1973.jpg


Mais dès avril 1973, l'armée nord-viêtnamienne, sous la houlette de Giap et de son chef d'état-major, le général Hoang Van Thai, commence à planifier la conquête du Sud-Viêtnam pour 1975-1976. Un mois plus tôt, les communistes ont résisté à une attaque de la 21st Infantry Division de l'ARVN à Chuong Thien, dans le delta du Mékong (IVème corps) : Giap y voit la preuve que l'armée du nord peut faire face à celle du Sud. En réalité, ce sont les communistes eux-mêmes, au niveau local, qui ont continué le combat en dépit du cesssez-le-feu. Mais ces initiatives permettent à Le Duan, membre dominant du Politburo et qui souhaite aussi la reconquête du Sud, de plaider en ce sens. La décision est entérinée dès le mois d'octobre. Giap peut commencer à planifier l'opération et à corriger les points qui ont entravé l'offensive de 1972 : la combinaison des armes, le commandement, la préparation, la logistique.

En face, le succès de 1972 a gonflé le moral de l'armée sud-viêtnamienne. Mais celle-ci a désespérement besoin du carburant, des munitions et de la logistique des Etats-Unis. Elle peut repousser des offensives locales mais en cas d'attaque majeure, elle a besoin du soutien aérien américain. Il faut regagner le terrain perdu après le cessez-le-feu, recompléter les unités entamées en 1972, moderniser l'armée et poursuivre l'effort de pacification dans les campagnes. Or, l'armée sud-viêtnamienne doit le faire avec moitié moins de forces, suite au retrait américain, et beaucoup moins de puissance de feu. Par ailleurs, l'offensive de Pâques 1972 a rapproché les Nord-Viêtnamiens des villes importantes : Kontum, Saïgon, et surtout dans le Ier corps, où les communistes ont conservé une tête de pont dans la plaine côtière. Le régime de Saïgon accroît le nombre de bataillons des forces régionales (de 189 à 339), les forces populaires et les forces de police. Comme l'économie se grippe après le départ des troupes américaines, la zone du delta du Mékong (IVème corps), grenier à riz de Saïgon, devient un enjeu prioritaire. Le général Nghi, qui commande ce corps d'armée, dispose de trois divisions d'infanterie : les 7th et 9th, qui ont plutôt bonne réputation, et la 21st, beaucoup moins solide. Il a aussi de 9 bataillons de Rangers, de la 4th Armor Brigade et des forces régionales et populaires les plus nombreuses du Sud-Viêtnam. Pourtant, les Américains, par le biais de leur attaché militaire, le colonel Le Gro, savent que l'ARVN est sujette à une grave crise de moral et que le Nord est en position de force, dès l'automne 1973. Thieu lui-même prend la mesure de l'enjeu et remplace nombre de responsables militaires pour améliorer l'efficacité de son armée.

Nguyen Van Thieu (ici photographié en 1966) dirige le Sud-Viêtnam entre 1965 et 1975, non sans tiraillements et incompréhension, parfois, avec le soutien américain.-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1b/Nguy%E1%BB%85n_V%C4%83n_Thi%E1%BB%87u.jpg


Alors que le président sud-viêtnamien conduit une offensive diplomatique pour faire reconnaître son régime, en particulier chez les non-alignés, Hanoï use de la propagande pour convaincre le monde que le Nord ne prépare pas une nouvelle attaque. En mars-avril 1974, le Politburo et l'armée prennent cependant des décisions pour améliorer la logistique de la piste Hô Chi Minh, et notamment pour installer un pipeline jusqu'au Sud-Viêtnam. 100 000 hommes ont rejoint le Sud en 1973 et 80 000 de plus le font dans les six premiers mois de 1974. La réserve stratégique au Nord est accrue et s'entraîne à opérer selon le schéma de la combinaison des armes, sur le modèle soviétique. Giap, qui est revenu d'URSS où il s'est fait soigner, présente son plan d'opérations au Politburo dès le mois d'octobre. Ce plan prévoit une victoire pour 1976, avec une poussée principale en deux temps soutenue par des attaques secondaires. Tirant les leçons de l'offensive de 1972, Giap choisit d'attaquer d'abord sur les Hauts-Plateaux, dans le IIème corps, puis en direction de Saïgon, avant une offensive et un soulèvement généralisés. En 1974, les Nord-Viêtnamiens se contenteront d'engagements à moyenne échelle tout en renforçant leurs bases logistiques.


« Echanger du sang contre des munitions4 » : 1974


Le général Tra, qui commande le Front nord-viêtnamien B-2 dans le IIIème corps, autour de Saïgon, lance des attaques dans ce secteur pendant la mousson, une première durant le conflit. Les Sud-Viêtnamiens alignent les 5th, 18th et 25th Infantry Divisions, qui ne sont pas considérées comme de bonnes unités5, la 3rd Armored Cavalry Brigade, 3 Ranger Groups, une douzaine de bataillons de forces régionales et le 81st Airborne Ranger Group, une formation de 3 000 hommes composée d'anciens membres des forces spéciales sud-viêtnamiennes, dissoutes. Dès la fin mars 1974, Tra lance un premier coup de sonde à l'ouest de Saïgon. L'ARVN réplique par une de ses dernières grandes opérations combinées et inflige de lourdes pertes à la 5ème division nord-viêtnamienne. Tra demande des renforts à Hanoï et regroupe plusieurs régiments indépendants en divisions, tout en créant aussi un nouveau corps d'armée, le 4ème. En mai, il lance sa 9ème division contre les positions de l'ARVN. La 18th Infantry Division soutient le choc : elle est commandée par le colonel Le Minh Dao, un des meilleurs officiers sud-viêtnamiens . Si les Nord-Viêtnamiens ne peuvent percer, ils ont mis en évidence la mauvaise coordination entre les unités de l'ARVN, ont épuisé leurs stocks de munitions d'artillerie et ont constaté la faiblesse des forces régionales et populaires.

Le général Tran Van Tra (ici en 1973) commande le Front B-2 pendant la campagne de 1974-1975. Il cherche à tout prix à s'emparer de Saïgon et lance plusieurs attaques agressives, avec plus ou moins de réussite : c'est lui qui s'empare de la province de Phuoc Long.-Source : http://legacy.wilsoncenter.org/coldwarfiles/images/people/van_tra_main.jpg
En août 1974, Nixon démissionne, et il est remplacé par Gerald Ford. L'aide américaine se réduit comme une peau de chagrin. Dès la mi-octobre, le général Cao Van Vien, chef d'état-major de l'ARVN, doit imposer de sévères restrictions aux opérations sur le terrain. Le Duan et le Politburo décident dès l'été 1974 d'approuver une offensive en deux temps : le premier commencera en décémbre et continuera en 1975, pour détruire la plus grande partie de l'ARVN, avant l'offensive finale en 1976. Le coeur du plan reste les Hauts-Plateaux, considérés comme le point faible de l'ARVN qui défend lourdement le Ier corps et le IIIème corps, les deux extrêmités nord et sud du pays : en outre, cette attaque permettrait de relier le Front B-3 (l'ouest des Hauts-Plateaux) au Front B-2 (autour de Saïgon).

Au nord du Sud-Viêtnam, dans le Ier corps, la situation est jusqu'ici restée assez calme. Le Ier corps est commandé depuis mai 1972 par le général Truong, l'un des meilleurs généraux sud-viêtnamiens. Truong dispose de 5 divisions : 3 au nord de la passe de Hai Van, lieu stratégique sur la route n°1 entre Hué et Da Nang, et 2 au sud. Un commandement avancé a été formé sous les ordres du général Lam Quang Thi, adjoint de Truong, avec les divisions d'élite de l'ARVN : la 1st Infantry Division, la division aéroportée et celle des Marines. Au sud de la passe, on trouve les 2nd et 3rd Infantry Divisions. Le Ier corps compte aussi la 1st Armor Brigade, 4 Rangers Groups et 50 bataillons de forces régionales. La proximité avec la zone démilitarisée et la frontière avec le Nord-Viêtnam a fait du Ier corps une zone majeure de combats entre 1965 et 1972. Truong craint, à juste titre, que les Nord-Viêtnamiens ne cherchent à tronçonner ses forces et à encercler, notamment, les meilleures divisions placées au nord. Les Sud-Viêtnamiens ont demandé un renfort en LST (Landing Ship Tank) aux Américains pour éventuellement procéder à des déplacements de troupes ou des évacuations amphibie, mais ces moyens leur ont été refusés. Dès mai 1974, Giap lance des attaques dans le secteur pour tester l'ARVN et épuiser au maximum son potentiel. Les combats font rage jusqu'en décembre. Truong contient la poussée communiste, mais au prix de 15 000 pertes : en outre, les Nord-Viêtnamiens ont noté la diminution de la puissance de feu de l'ARVN et le rôle capital joué par la division aéroportée. Ils ont monté des attaques séquentielles et ont joué de l'absence quasi totale de renseignements fiables côté sud-viêtnamien, depuis le retrait américain.


De la chute de Phuoc Long à Xuan Loc (décembre 1974-avril 1975)


Dès octobre 1974, le général Tra, qui commande le Front B-2, termine son plan d'attaque pour s'emparer de la province de Phuoc Long, qui fait la jonction avec le Front B-3 des Hauts-Plateaux. Giap et Van Tien Dung, le chef d'état-major de l'armée nord-viêtnamienne, sont sceptiques, notamment en raison des pertes subies par Tra au printemps. Cette attaque est souvent considérée comme une volonté du Nord de « tester » la réaction américaine, mais elle doit aussi beaucoup au caractère agressif du général Tra, qui ne rêve en fait que de s'emparer en personne de Saïgon. L'offensive démarre le 6 décembre et, un mois plus tard, la province de Phuoc Long tombe au mains des Nord-Viêtnamiens, malgré l'intervention dramatique du 81st Airborne Ranger Group.

Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/91/HCMC1.jpg/300px-HCMC1.jpg


Thieu a réuni le conseil national de sécurité, les 9-10 décembre 1974, pour définir la stratégie à choisir en 1975. Le général Cao Van Vien pense à une attaque dans le IIème corps, pour attirer les réserves de l'ARVN, avant que l'assaut principal ne se déclenche dans les Ier et IIIème corps. Mais tout le monde n'est pas convaincu. Thieu cherche aussi à accroître sa réserve, en formant une nouvelle brigade de Marines et une autre de paras. Deux nouveaux Ranger Groups sont également constitués, ainsi que des groupes regroupant les bataillons de forces régionales. Des stocks de munitions et de vivres sont empilés à Kontum et Pleiku, sur les Hauts-Plateaux, pour éviter une répétition de ce qui s'est passé à Phuoc Long, où la ville, rapidement isolée, n'a pu être renforcé. Le 18 décembre, le Politburo arrête le plan final pour l'offensive de 1975. L'effort principal portera sur le sud des Hauts-Plateaux, car les Nord-Viêtnamiens ont un espion de premier choix dans l'équipe du général Cao Van Vien qui leur transmet tous les documents importants : ils savent ainsi que l'ARVN s'attend plutôt à une attaque au nord des Hauts-Plateaux, sur Kontum ou Pleiku. Le 6 janvier, Hanoï entérine le choix de Ban Me Thuot, capitale de la province de Darlac, dont la capture permettrait, via la route n°14, de relier le Front B-3 au Front B-2, par la province de Phuoc Long tout juste tombée.

Le général Pham Van Phu commande le IIème corps. Kontum est défendue par 3 Ranger Groups, et un autre se tient sur la route n°14. La 23rd Infantry Division cantonne autour de Pleiku, renforcée par deux Ranger Groups et de quelques unités blindées. La 22nd Infantry Division se tient plus en arrière, à An Khe. Les Nord-Viêtnamiens ont réussi à tromper les Sud-Viêtnamiens sur le véritable axe d'attaque et l'offensive est déclenchée le 4 mars. Ban Me Thuot est prise moins de dix jours plus tard. Le choc est tel que dès le 11 mars, le président Thieu propose au conseil national de sécurité de se retrancher entre le sud des Hauts-Plateaux et le delta du Mékong, en abandonnant le reste du pays aux Nord-Viêtnamiens, une solution qu'il avait déjà envisagée auparavant. C'est une manoeuvre risquée, et ce d'autant plus que les Sud-Viêtnamiens, qui décident cette fois seuls, ne bénéficient plus du soutien américain. La décision est prise dans l'urgence, sans prévenir la population. Thieu fait aussi retirer la division aéroportée du Ier corps pour la transporter près de Saïgon, aggravant la crise morale. La retraite des restes du IIème corps vers la côte se transforme en déroute. Les Nord-Viêtnamiens, après leur succès sur les Hauts-Plateaux, choisissent de nettoyer le reste de la région et de pousser d'abord au nord avant de lancer l'attaque sur Saïgon. Pris au dépourvu par l'ampleur de leur succès, les dirigeants nord-viêtnamiens doivent prendre en fait rapidement des décisions importantes. Toute la réserve stratégique, sauf une division, est finalement engagée au Sud-Viêtnam. Dès le 28 mars, les Nord-Viêtnamiens ont consommé la déroute du IIème corps, dont l'ampleur ne précède que de peu celle à venir du Ier corps, plus au nord.

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Le général Tra, autour de Saïgon, lance quant à lui des attaques pour empêcher l'ARVN de déplacer ses maigres réserves. Il cherche aussi à encercler la capitale pour mieux l'étouffer. Giap lui attribue une division fraîche de la réserve stratégique, la 341. Tra forme pour cette opération un nouveau corps d'armée, le groupe 232, avec les divisions 5 et 303 : il opère au sud et à l'ouest de la capitale. Le 4ème corps, avec les divisions 7 et 9, attaque au nord-ouest et au nord-est de Saïgon. En face, après la chute de Phuoc Long, le général Van Toan, ancien commandant de l'école des blindés et du IIème corps, a pris la tête du IIIème corps. Toan, un général sud-viêtnamien agressif formé à l'école américaine, est cependant limité par les restrictions posées à la mobilité de l'ARVN. Il déploie ses trois divisions pour faire barrage à la poussée nord-viêtnamienne : la 25th Infantry Division au nord-ouest, la 5th Infantry Division au nord et la 18th Infantry Division à l'est, la 3rd Armored Cavalry Brigade servant de réserve.

Tra attaque le 10 mars 1975, alors que commence également l'assaut sur Ban Me Thuot. Il remporte des succès avec des pertes moindres qu'un an auparavant, mais plaide pour une poussée immédiate en direction de Saïgon, qu'il envisage depuis longtemps, alors que le Politburo, Dung et Giap ont choisi d'éliminer d'abord les forces de l'ARVN plus au nord. Dès le 19 mars, Tra souhaite ainsi lancer le 4ème corps d'armée contre Xuan Loc pour détruire la 18th Infantry Division de l'ARVN. Mais ce n'est que le 29 mars, au moment où tombe Da Nang, que Tra recevra enfin l'ordre de marcher sur la capitale.

Au nord, les Sud-Viêtnamiens s'attendent également à une attaque contre le Ier corps. L'offensive de 1972 a laissé les Nord-Viêtnamiens maîtres de la partie au sud de la zone démilitarisée jusqu'à Quang Tri City, et des montagnes qui bordent la plaine côtière à l'ouest : ceux-ci sont donc en bien meilleure position qu'en 1968 ou qu'avant l'offensive de 1972. Hanoï a également consolidé sa logistique. En face, le commandement avancé de Thi voit sa puissance de feu et sa mobilité réduites : la 1st Infantry Division et les Rangers ont souffert dans les combats de 1974 et seuls les Marines ont été à peu près préservés. Les Nord-Viêtnamiens veulent s'emparer de Hué : pour ce faire, ils doivent avancer via la route n°1 et par le nord-ouest de la ville, qui offre la meilleure voie d'approche. Mais cette fois-ci, ils vont également attaquer par le sud de Hué.

Le général Thi a prévu un repli par bonds successifs vers Hué, depuis le nord : la défense repose ici sur les Marines et sur un régiment de la 1st Infantry Division. Au sud, jusqu' à la passe de Hai Van, se trouvent les autres régiments de la 1st Infantry Division. Deux brigades aéroportées protègent l'ouest de Da Nang, tandis qu'une autre est sur la passe elle-même. Un Ranger Group se tient en réserve. Les Nord-Viêtnamiens disposent quant à eux du 2ème corps d'armée et des forces du Front B-4 : le premier regroupe les divisions 304, 324 et 325, une division antiaérienne et la 203ème brigade de chars essentiellement ; le second, trois régiments d'infanterie indépendants et 8 bataillons de forces locales. Au sud de la passe, le Front B-1 dispose de la 2ème division, de la 52ème brigade, d'une douzaine de bataillons locaux, et de plusieurs régiments détachés de deux divisions différentes qui forment ensemble l'équivalent d'une division. Hanoï cherche, en attaquant au nord, à faire rester sur place la division aéroportée et celle des Marines, et à prévenir la formation d'enclaves côtières à Hué et Da Nang. Le plan est presque une répétition de celui de 1974 et n'envisage pas une victoire complète avant 1976. Le 2ème corps est commandé par le général Huu An, tout juste rentré d'une formation militaire en URSS, et qui était notamment le commandant de terrain pendant la bataille de Ia Drang, en 1965. Sous son impulsion et celle de Giap, le plan initial est finalement rejeté : si la division 324 attaque dans le même secteur qu'en 1974, la division 325 est déplacée au sud pour attaquer dans la zone méridionale à Hué, près de la passe de Hai Van, pour couper la route n°1. Pendant ce temps, d'autres attaques fixeront l'ARVN pour l'empêcher de déplacer ses réserves.

Source : http://www.emersonkent.com/images/vietnam_war_1975.jpg


L'attaque est lancée le 8 mars. Le 12, Truong se voit privé de la division aéroportée, rappelée à Saïgon sur ordre de Thieu. Il est forcé de se replier sur Da Nang, où converge un flot de 800 000 réfugiés sud-viêtnamiens. En deux semaines, l'ARVN a tiré pas moins de 200 000 obus pour soutenir ses forces au sol, dans des combats parfois très durs : c'est 5 fois plus que ce qu'on dépensé les Nord-Viêtnamiens ! Quang Tri tombe dès le 20 mars, et les communistes convergent ensuite vers Hué par le nord et par le sud. Truong doit céder la division de Marines à Thieu le 22 mars, mais l'évacuation ne pourra se faire en bon ordre. Dès le 25 mars, le Politburo, à Hanoï, a décidé d'éliminer les forces du Ier corps et a prévu l'assaut sur Saïgon pour le mois de mai. A peine 10 000 personnes sont évacuées de Hué avant sa chute le 26 mars, le jour même où, dans un discours à la radio, Thieu annonce sa stratégie de repli sur la partie sud du pays, mais sans évoquer la prise de la ville. L'armée nord-viêtnamienne entre dans Da Nang le 29 mars alors que les restes du Ier corps se désintègrent, sous l'effet de la panique qui s'empare des civils et de la percée au sud de Hué ; en outre, les soldats pensent à sauver leurs familles, prises dans la tourmente.

L'armée nord-viêtnamienne progresse ensuite le long de la côte pour nettoyer les enclaves possibles pour les restes de l'ARVN. La 22nd Infantry Division, qui a survécu au désastre du IIème corps sur les Hauts-Plateaux, résiste à Qui Nhon jusqu'au 2 avril. Plus au sud, Tuy Hoa est tombée la veille. Les Nord-Viêtnamiens s'emparent de Nha Trang, puis du port de Cam Ranh Bay le 3 avril. Le 31 mars, le Politburo débat de la phase finale de l'offensive : envoyer les 1er et 3ème corps d'armée au sud, utiliser le Front B-2 pour attaquer immédiatement le IIIème corps de l'ARVN et voir s'il s'effondre ou non, et prendre Saïgon à la fin avril. Une seule division, la 308, formation d'élite, reste pour garder le Nord-Viêtnam. Une flotte de plus d'un millier de camions est mobilisée pour convoyer le 1er corps d'armée au nord-est de Saïgon, dans la province de Phuoc Long. Pour la première fois, la marine et l'aviation de transport nord-viêtnamiennes sont mises à contribution pour déplacer des réserves stratégiques. Le 4 avril, le 2ème corps est désigné comme noyau d'une future « colonne côtière » qui progressera le long du littoral au sud de Saïgon. La veille, le général Cao Van Vien, chef d'état-major de l'armée sud-viêtnamienne, a mis le général Minh à la tête du district militaire protégeant la capitale.

Les Nord-Viêtnamiens ont décidé de lancer l'assaut sur Saïgon, mais reste à déterminer comment. Tra a prévu, avec le Front B-2, d'attaquer au sud et à l'est. Le 4ème corps d'armée doit prendre Xuan Loc, détruire la 18th Infantry Division puis s'emparer de la base aérienne de Bien Hoa. Le corps reçoit la 6ème division en plus des 7ème et 341ème divisions, et doit attaquer le 9 avril. Au sud, les divisions 5 et 303 doivent submerger la 9th Infantry Division, couper la route n°4 qui file vers le delta et détruire ensuite la 7th Infantry Division. Dung, qui souhaiterait d'abord nettoyer complètement les Ier et IIème corps, reste sceptique face au plan de Tra et estime que son Front est trop faible pour la tâche. En outre, les attaques lancées en direction du delta à partir du 7 avril, par les divisions 303, 4 et 5, se heurtent à la résistance des divisions d'infanterie et des forces régionales sud-viêtnamiennes reprises en main par le commandement après la déroute du Ier corps, et qui sont loin de déposer les armes.


Une défense inspirée


Pendant ce temps, le 4ème corps nord-viêtnamien prend place dans les broussailles et les plantations de bananiers de la province de Long Khanh, alors que la colonne côtière progresse via la route n°1. Xuan Loc, la cible de Tra, est un objectif stratégique : située à 60 km au nord-est de Saïgon, elle contrôle Dau Giay, l'intersection entre les routes n°1 et 20, c'est à dire deux des trois routes en dur qui relient Saïgon à l'est du Sud-Viêtnam. C'est un point d'ancrage de la ligne de défense que tente de bâtir l'ARVN autour de la capitale. Si les Sud-Viêtnamiens arrivent à tenir ici, ils pourront peut-être se reprendre et réorganiser leurs forces. A cause de son importance stratégique, Xuan Loc va devenir le théâtre de la plus féroce bataille de l'offensive finale du Nord-Viêtnam en 1975.

Source : http://vnafmamn.com/untoldpage/xuanloc_map.gif


Le 4 avril, le général Cam, qui commande le 4ème corps nord-viêtnamien, ordonne à sa 7ème division de faire mouvement au sud vers Xuan Loc. Etant donné qu'il n'a qu'un délai de cinq jours avant l'assaut, Cam opte pour l'approche directe et une attaque frontale. Une partie de l'infanterie, soutenue par toute l'artillerie et les chars, sera jetée contre la 18th Infantry Division et le QG de la province. Cam espère emporter la ville d'un seul coup. La 7ème division fournira le gros de l'attaque par l'est, tandis que la 341ème division mènera des attaques secondaires au nord pour prendre le QG administratif de la province de Long Khanh. Cam a pourtant déjà pu mesurer les limites de l'assaut frontal un peu plus tôt, à Chon Tanh. Cet avant-poste sur la route 13, défendu par le 31st Ranger Group, avait recueilli le 32nd Ranger Group sorti d'An Loc le 20 mars. Puis les défenseurs avaient établi des positions fortifiées. L'assaut frontal de deux régiments de la 9ème division nord-viêtnamienne et d'un bataillon de chars, le 24 mars, s'était soldé par de lourdes pertes. Il a fallu engager le reste de la 9ème division, un régiment de la 341ème division qui connaît là son baptême du feu, des chars et de l'artillerie supplémentaires. Les Rangers n'évacuent Chon Tanh que le 1er avril. Cam pense que les défenses sud-viêtnamiennes de Xuan Loc étant déjà établies, il n'y a plus rien d'autre à tenter.

Les forces locales de guérilla fournissent des guides qui permettent aux assaillants d'effectuer leurs repérages. Le groupe cadre de reconnaissance de la 341ème division effectue son repérage final le 5 avril au nord-ouest de Xuan Loc. Le lendemain, le plan est établi : le 266ème régiment attaquera des objectifs à l'intérieur de la ville, le 270ème régiment attaquera Kiem Tan et la montagne Thi, où stationnent un bataillon d'artillerie, un centre de communications et le 2nd Battalion du 43rd Infantry Regiment. Le 273ème régiment de la 341ème division est encore rattaché à la 9ème division. Les deux régiments de la 6ème division, les 33ème et 274ème, effectueront un cercle jusqu'au sud de Xuan Loc pour attaquer l'intersection Dau Giay et des points clés le long de la route n°1 à l'ouest de Xuan Loc. La 7ème division n'arrive de la province de Long Dam que dans la nuit du 7 avril. Elle doit annihiler le 48th Infantry Regiment et prendre l'intersection des routes n°1 et 2 au village de Tan Phong, au sud de Xuan Loc. Mais les ordres sont bientôt changés : la mission principale est de prendre la ville, ensuite de pulvériser le 48th IR. Il faut dresser de nouveaux plans en une journée : le 165ème régiment reçoit l'ordre de s'attaquer au gros de la 18th ID dans la partie nord-est de Xuan Loc, le 209ème régiment s'emparera de la route n°1 à partir du village de Suoi Cat, à l'est, jusqu'à Tan Phong, avant d'attaquer la ville par le sud et d'attendre les renforts ; le 141ème régiment est tenu en réserve. Le QG du 4ème corps s'établit au nord-est de Xuan Loc pour coordonner les feux de l'artillerie et organiser les voies d'approvisionnement pour ses trois divisions. Un QG avancé sous les ordres du commandant adjoint, Bui Cat Vu, est installé à la montagne Chua Chan à l'est de Xuan Loc pour superviser l'attaque. Celle-ci est prévu à 5h30 le 9 avril. Si Xuan Loc tombe, il n'y aura pas plus rien entre Saïgon et le 4ème corps nord-viêtnamien à l'exception de la 1ère brigade aéroportée.

Le général Le Minh Dao prend la tête de la 18th Infantry Division en 1972. Il va remodeler cette unité jusqu'alors considérée comme inefficace et mener de main de maître la défense de Xuan Loc, dernière grande bataille rangée de la guerre du Viêtnam.-Source : http://t0urnes0l.files.wordpress.com/2012/10/xuanloc_18th.jpg


Mais le général Le Minh Dao, commandant la 18th ID, s'attend à un assaut nord-viêtnamien. Après les attaques de mars, il anticipe une future attaque contre Xuan Loc. En février, un avant-poste des forces régionales avait surpris et tué une équipe d'observateurs de l'artillerie du 4ème corps. Fin mars, des prisonniers sont capturés après les combats sur la route n°20 : très jeunes, ils sont pourtant équipés d'armes dernier cri et appartiennent à la division 341. Dao sait donc qu'il y a trois divisions adverses dans son secteur. Début avril, il prépare la défense de Xuan Loc. La ville est située au milieu de plantations de bananiers et d'arbres à caoutchouc, à la base de l'extrêmité sud de la cordillère annamitique. A l'ouest de la ville, le terrain parsemé de collines est couvert de forêts épaisses et traversé par des cours d'eau. A l'est, le relief, plus ouvert, est dominé par la montagne Chua Chan. Dao ne dispose que de forces réduites. Deux régiments sont à l'extérieur de la ville : le 52nd IR garde la route n°20 et le 48th IR est dans la province de Tay Ninh. Seuls restent à Xuan Loc le 43rd IR, les services arrières, la compagnie blindée et celle de reconnaissance. 4 bataillons des forces régionales tiennent le nord de la ville et la zone autour du QG de la province. Mais au sud de Xuan Loc, la défense est pour ainsi dire vide. Or c'est précisément là que compte frapper la 7ème division nord-viêtnamienne.

Le 3 avril, Dao profite de la visite du général Toan pour récupérer le 48th Infantry Regiment, prétendant l'utiliser pour nettoyer la route n°1 à l'est de Xuan Loc et reprendre la montagne Chua Chan. Cependant un bataillon doit être expédié dans la ville côtière de Ham Tan où se pressent les réfugiés du IIème corps. Le 5 avril, le 48th IR arrive à Xuan Loc. Le 3rd Battalion part vers l'est mais le 1st est placé à Tan Phong, au sud de la ville, avec le 5th Cavalry Squadron. Pour éviter la déroute survenue dans les Ier et IIème corps, Dao fait déplacer les familles des soldats et les civils à Long Binh, l'immense base logistique proche de Saïgon. Les civils qui restent se terrent dans les bunkers près du QG de la province. Pour éviter les effets de l'artillerie nord-viêtnamienne, Dao déplace également ses soldats en dehors de la ville, pensant que les artilleurs de Hanoï viseront en priorité Xuan Loc. Il équipe la compagnie de reconnaissance avec des mitrailleuses cal. 50 (12,7 mm) et l'installe dans une école au nord-ouest de la cité. Dao crée trois postes de commandement : un dans sa maison à l'intérieur de la ville, un autre à Tan Phong et un dernier dans un verger proche. Le général pense que les communistes utiliseront le même schéma que lors de l'attaque sur Xuan Loc en 1968 pendant le Têt, avec quelques variantes, ce qui s'avèrera exact. Pour contrer l'assaut nord-viêtnamien, Dao prépare un piège : il fait préenregistrer à toute son artillerie (24 canons de 105 mm et 12 de 155 mm) les coordonnées des routes d'approche probables, fait construire des revêtements pour protéger les pièces et même des bunkers pour les dissimuler, étendant ceux-ci et les tranchées pour les défenseurs de la ville. Il veut priver la contre-batterie adverse de toute capacité de riposte et mettre en oeuvre un « hachoir à viande », selon ses propres termes. Pour constituer des stocks d'obus, il a réduit les tirs d'artillerie de 20% depuis février. Dans chaque bataillon, il met en place une section de reconnaissance profonde chargée de détecter l'ennemi très en avant. Le 6 avril, l'une de ces sections élimine une équipe de reconnaissance adverse sur la montagne Fantôme, la hauteur majeure au nord-ouest de Xuan Loc. Les autres collines sont occupées pour prévenir leur utilisation comme postes d'observation.

A midi, le 6 avril, Dao apprend que le 82nd Ranger Battalion, qui a échappé à la déroute du IIème Corps, va être déposé à Xuan Loc. Il lui fait donner munitions et vivres à l'aéroport local et le place sous le contrôle du 43rd IR. Normalement, les Rangers doivent partir à Saïgon dès le lendemain matin, mais ils vont rester et se trouver eux aussi impliqués dans la bataille. Au soir du 8 avril, le 52nd IR et une troop du 5th Armored Cavalry défendent l'intersection Dau Giay ; un bataillon stationne un peu plus au sud, au village de Phan Boi Chau. L'élément le plus au nord est une compagnie placée sur la colline du Fer à cheval, à l'est de la route n°20, près de la montagne Fantôme. Le 2nd Battalion du 43rd IR défend la montagne Thi, la hauteur dominante à l'ouest de Xuan Loc. Il y a un trou entre le 52nd IR et la ville, où Dao place son artillerie. La compagnie de reconnaissance tient l'approche nord-ouest, deux bataillons des forces régionales sont à sa droite. Deux autres bataillons sont à l'intérieur de la ville. Les 1st et 3rd Battalions du 43rd IR défendent l'accès est de Xuan Loc. Le 1st Battalion du 48th IR et 2 troops du 5th Armored Cavalry sont en réserve, tandis que le 3rd Battalion du 48th IR est sur le côté de la route n°1 qui mène à l'est de Xuan Loc. Le 82nd Ranger Battalion se charge de défendre la piste aérienne.

Vue de Xuan Loc en 1968. La route n°1 est visible à l'arrière-plan, coupant au milieu des plantations d'arbres à caoutchouc.-Source :  http://vnafmamn.com/untoldpage/xuanloc_battle21.jpg



La bataille de Xuan Loc : un succès défensif initial...


Au matin du 9 avril, les Nord-Viêtnamiens se mettent en position. La 6ème division traverse la route n°2 au sud de Xuan Loc et se déplace furtivement à travers les plantations d'arbres à caoutchouc vers la route n°1. Les 7ème et 341ème divisions approchent au plus près du périmètre de l'ARVN. A 5h00, toutes les unités sont en place. La 341ème division demande un report de 10 mn du barrage d'artillerie car le brouillard nocturne ne s'est pas dissipé. A 5h40, les canons ouvrent le feu : la bataille de Xuan Loc a commencé. Un des premiers obus détruit la maison du général Dao, témoignant de la précision du tir des Nord-Viêtnamiens. Le barrage dure une heure. Mais les Nord-Viêtnamiens ignorent que l'ARVN a sciemment évacué la ville vers l'extérieur. Les 2 000 obus n'infligent quasiment pas de pertes aux soldats sud-viêtnamiens bien à l'abri dans leurs tranchées ou dans les bunkers. A 6h40, deux fusées rouges annoncent le début de l'attaque au sol.

Une des photos les plus célèbres de la bataille : des soldats de la 18th Infantry Division posent sur un T-54 nord-viêtnamien détruit.-Source : http://vnafmamn.com/untoldpage/xuanloc_battle19.jpg


Ci-dessous, interview du général Le Minh Dao par un journaliste français, en 1975.


A l'est, le 165ème régiment avance avec 4 chars, et le même nombre appuie le 209ème régiment. Les Nord-Viêtnamiens s'attendent à voir l'ennemi fuir devant eux et pressent le pas. Or, Dao a créé un réseau défensif bien au point : 8 barrières de barbelés, des champs de mines, et un rempart de terre que les attaquants doivent escalader. Bientôt les armes automatiques et l'artillerie des défenseurs arrêtent l'assaut du 165ème régiment ; le char de tête déchenille sur une mine, et l'aviation intervient aussi rapidement. 4 T-54 et 1 PT-76 restent sur le terrain. Un deuxième assaut se heurte à un dispositif ingénieux mis au point par le 43rd IR : des roquettes de 2,75 pouces normalement tirées par des hélicoptères et ici commandées par un déclenchement électrique et montées sur bipodes. Deux autres chars sont détruits. Le 209ème régiment, qui avance sur la route n°1 depuis l'est jusqu'à la ville, bute dans le 82nd Ranger Battalion sur la piste. Celui-ci contient deux bataillons et détruit deux chars de plus. Cam est surpris par la résistance de l'infanterie sud-viêtnamienne : tous les hommes, y compris ceux des services arrières, les blessés et même les invalides prennent part au combat.

A l'ouest, la 341ème division semble réussir un peu mieux. Le 266ème régiment, qui a bien reconnu le terrain, franchit les 5 lignes de barbelés et vise l'école, le marché et la cathédrale. Le commandant de division accompagne le régiment. Mais l'artillerie entre en action, suivie par le tir d'un C-119 gunship. Arrivée à portée de tir, l'infanterie nord-viêtnamienne est engagée par les mitrailleuses de la compagnie de reconnaissance. Les « bleus » du 266ème régiment tentent de passer plus à l'est mais tombent sur deux unités de forces régionales qui tiennent bon. En contournant l'école, le 266ème régiment, au prix de lourdes pertes, pénètre de 300 m dans la ville non loin du marché, de la cathédrale et du QG provincial. Plus à l'ouest, le 270ème régiment ne peut venir à bout des défenseurs sur la montagne Thi et abandonne des dizaines de tués.

A 11h00, Dao lance une contre-attaque avec sa réserve (1st Battalion, 48th IR et 5th Armored Cavalry) pour déloger les Nord-Viêtnamiens qui sont entrés dans la ville. Le 270ème régiment intervient et empêche le 266ème d'être encerclé. Mais la situation de ce dernier est précaire : certains soldats s'accrochent aux bâtiments, mais la division 341 perd 600 tués et blessés en une journée. La 6ème division progresse mieux car elle rencontre moins d'opposition : le 274ème régiment occupe la passe entre Xuan Loc et l'intersection Dau Giay bloquant la route n°1, et coupe, à travers le vide dans la défense, le général Dao du 52nd IR. Le 33ème régiment attaque les villages de Hung Nghia et Hung Loc sur la route n°1 à l'ouest de Dau Giay : le second est pris, mais le régiment est repoussé au premier par les forces populaires. Une attaque sur Dau Giay échoue face au 1st Battalion, 52nd IR retranché à Phan Boi Chau. Les Nord-Viêtnamiens stoppent leur assaut dès l'après-midi : ils ont perdu plus de 700 hommes contre 50 pertes sud-viêtnamiennes et ravitaillent leurs unités pendant la nuit. Cam croit que la moitié de la ville est à lui et que la route n°1 est coupée : Bui Cat Vu lui demande pourtant d'engager la réserve, ce qu'il accepte, de même que de continuer sur le même schéma tactique le lendemain. La 7ème division engage le 141ème régiment et un bataillon antiaérien en tir direct. Le 270ème régiment de la 341ème division appuiera le 266ème dans la ville.

A 5h27 le 10 avril, les canons nord-viêtnamiens réexpédient 1 000 obus de plus sur Xuan Loc. La 7ème division ne peut déboucher à l'est face au 43rd IR et au 82nd Ranger Battalion. A l'ouest, le 270ème régiment lance cinq assauts contre les forces régionales près du marché. Il est repoussé à chaque fois, après de violents combats à la grenade et même au corps-à-corps, à la baïonnette. 4 T-54 sont détruits. L'artillerie et l'aviation sud-viêtnamiennes sont particulièrement redoutées des assaillants. Dans l'après-midi, Dao contre-attaque face aux deux régiments de la 341ème division engagés dans la ville. Les Nord-Viêtnamiens commencent à plier et se terrent dans les caves et les bâtiments en ruines, et ne font plus usage de leurs armes. A la tombée de la nuit, les défenseurs ont repris les bâtiments occupés la veille, mais toute la partie nord de Xuan Loc est réduite à l'état de décombres. Pendant la nuit, l'artillerie nord-viêtnamienne envoie 2 000 obus sur la localité. La contre-batterie sud-viêtnamienne est active et des AC-130 gunships prennent à partie les voies logistiques nord-viêtnamiennes pour tenter de désorganiser le dispositif d'attaque. Le lendemain, le 4ème corps réoriente la 341ème division contre le 43rd IR pour faire la jonction avec la 7ème division, qui poursuit son effort.

A 5h30, le 11 avril, un nouveau barrage d'artillerie de 30 minutes s'abat sur les positions du 43rd IR. Le résultat est le même que les jours précédents : les deux divisions sont stoppées, les contre-attaques reprennent le terrain perdu. Cam reconnaît lui-même que Xuan Loc est le plus dur affrontement qu'il ait eu à connaître de toute la guerre : en trois jours de combat, la 7ème division a perdu 300 hommes, la 341ème division 1 200. Toutes les pièces antiaériennes de 85 mm ou 37 mm engagées en tir direct ont été détruites ou peu s'en faut. En face, la 18th ID compte une centaine de tués et de blessés. Les préparatifs de Dao, son commandement agressif, l'efficacité de l'artillerie et de l'aviation ont payé. L'état-major de l'ARVN saisit l'importance de la bataille. Le 11 avril, la 3rd Armored Cavalry Brigade (150 M113 et une quarantaine de M-48 Patton) est détachée de la province de Tay Ninh pour rouvrir la route n°1 entre Hung Nghia et Dau Giay. Le bataillon envoyé à Ham Tan est ramené à Xuan Loc. Le général Khoi, qui commande la 3rd Armored, bute dans un barrage de la 6ème division nord-viêtnamienne : il ne peut déboucher. Le même jour, Toan, qui commande le IIIème corps, dépêche la 1ère brigade aéroportée à Xuan Loc. C'est l'un des derniers éléments de la réserve stratégique de l'ARVN. Tous les hélicoptères disponibles sont mobilisés pour aérotransporter trois bataillons de paras et un bataillon d'artillerie près de Tan Phong, au prix de 2 UH-1 abattus. Dao ressert aussi son dispositif : le 52nd IR, coupé de la ville, se déplace plus au nord de son périmètre, seul le 1st Battalion étant pressé à Phan Boi Chau, sous le feu de l'artillerie et des attaques d'infanterie. Au matin du 10 avril, Dao a donné l'ordre au 2nd Battalion du 52nd IR de regagner Xuan Loc. Le 2nd Battalion rejoint le 43rd IR dans l'après-midi du 12 avril. Au sud de Xuan Loc, ce même jour, un bataillon aéroporté affronte un bataillon de la 7ème division. Le 13 avril, Dao déplace deux bataillons de paras pour faire face à la 7ème division à l'est. L'un des bataillons perce la ligne nord-viêtnamienne près du village de Bao Dinh, permettant au second d'encercler le 8ème bataillon du 209ème régiment nord-viêtnamien. C'est pourtant l'une des dernières manoeuvres offensives de Dao.

La 1ère brigade aéroportée est héliportée à Xuan Loc le 11 avril 1975. Les paras sud-viêtnamiens confirment leur statut d'unité d'élite pendant la bataille mais celle-ci consomme aussi les dernières réserves de l'ARVN.-Source: http://vnafmamn.com/untoldpage/xuanloc_battle25.jpg



avant le repli


C'est alors que le général Dung intervient pour faire retarder l'assaut général sur Saïgon, comme il le souhaitait avant l'attaque contre Xuan Loc. Tra, le patron du Front B-2, se rend compte que le 4ème corps piétine face à la 18th Infantry Division. Il est envoyé jauger la situation dans l'après-midi du 11 avril. Il n'a pas suivi, il faut le dire, les instructions de l'état-major nord-viêtnamien qui conseillaient de neutraliser la base de Bien Hoa avant d'attaquer Xuan Loc. Dung et Tra identifient deux points faibles : la base aérienne de Bien Hoa, d'où décolle l'appui-feu aérien pour les défenseurs, et le 52nd IR isolé autour de Dau Giay. Cam lance pourtant deux nouvelles attaques frontales le 12 avril. La première, avant l'aube, dure jusqu'à 9h30 et vise la partie nord-est de Xuan Loc. Les Sud-Viêtnamiens envoient des C-130 munis de bombes de 750 livres attachées sur des palettes de bois et larguées directement sur les assaillants. L'artillerie se déchaîne aussi. 235 cadavres nord-viêtnamiens sont décomptés après la fin de l'assaut. A midi, une nouvelle attaque de la 341ème division est brisée par l'aviation avant même d'atteindre le contact avec les Sud-Viêtnamiens. Dao note que certaines troupes adverses sont littéralement poussées en avant par leurs officiers : il faut dire qu'en quatre jours, les Nord-Viêtnamiens comptent 2 000 tués ou blessés, l'ARVN quelques centaines seulement. 9 chars T-54 auraient également été perdus ce jour-là.

Mais, le 13 avril, le régiment 95B, relativement frais, envoyé par Dung, arrive des Hauts-Plateaux. Le régiment a l'insigne privilège d'avoir servi au sein des 4 corps d'armée nord-viêtnamiens pendant l'offensive de 1975. Tra, qui arrive au QG du 4ème corps, revoit le plan : il faut prendre Dau Giay, se retirer des abords de Xuan Loc et tirer sur la base de Bien Hoa avec des pièces lourdes de 130 mm. Alors que les Nord-Viêtnamiens se replient discrètement dans la nuit du 12, Dao fait réoccuper les positions abandonnées. 8 Chinooks ont déposé dans l'après-midi 90 tonnes de munitions d'artillerie, et une centaine d'autres, de munitions d'armes à feu et de vivres, arrive le lendemain. Le 13 avril, une nuée de journalistes arrive à Tan Phong dans le cadre d'une campagne de relations publiques menée par le gouvernement de Saïgon pour regonfler le moral du pays. Les journalistes sont accueillis par Le Minh Dao, qui annonce pouvoir repousser n'importe quelle division adverse. Le commandant du 43rd IR, le colonel Le Xuan Hieu, montre sur le marché les corps carbonisés de soldats nord-viêtnamiens, des armes capturées et quelques prisonniers. Malheureusement, au moment du départ des journalistes, des civils affolés se pressent près des Chinooks, bientôt bousculés par quelques soldats de l'ARVN, tandis que des porteurs de brancards sont contraints de déverser leurs blessés au sol dans le mouvement de foule. Image peu flatteuse de l'ARVN qui se bat pourtant avec ténacité à Xuan Loc...

Ce même jour, une attaque massive repousse les défenseurs du hameau de Phan Boi Chau vers Dau Giay. Dans la nuit, le commandant du 52nd IR ordonne à deux compagnies du 3rd Battalion de rejoindre le 1st Battalion et de percer vers l'intersection. Le 3rd Battalion réussit mais il ne reste plus qu'un tiers à peine du 1st Battalion après les combats contre le 33ème régiment nord-viêtnamien. Dau Giay est désormais sans défense : Dao a fragilisé le dispositif en retirant le 2nd Battalion dès le 10 avril. La 3rd Armored tente à nouveau de faire la jonction avec le 52nd IR. Khoi contourne le barrage et envoie un bataillon de Rangers et une Armor Troop au nord de Hung Loc pour relier le régiment à Nguyen Tai Hoc, sur la route n°20, juste au nord de Dau Giay. Khoi s'empare de la colline 122, au nord de Hung Loc, mais les blindés sont arrêtés par les cours d'eau et doivent attendre le génie. Les communistes ont le temps d'amener des renforts et lancent des attaques en vagues humaines sur toutes les pentes de la colline. Khoi ne peut encore pas déboucher.

Les Sud-Viêtnamiens n'hésitent pas à utiliser les monstrueuses bombes américaines BLU-82 Daisy Cutter contre les concentrations nord-viêtnamiennes et leurs QG.-Source : http://s17.postimage.org/5qjpd1rqn/MR_3_daisycutter_bomber_graphic.gif


Dao profite de la présence d'une équipe de 20 hommes chargée des interceptions radios et qui réalise du bon travail grâce au manque de discipline des Nord-Viêtnamiens. L'aviation sud-viêtnamienne a prévu d'utiliser conte les objectifs de valeur ainsi repérés des bombes de 15 000 livres BLU-82 Daisy Cutter6. La première bombe est larguée le 14 avril contre le QG supposé du 4ème corps, à 11 km au nord-est de Xuan Loc. Mais, au matin du 15 avril, un commando de sapeurs pénètre dans la base de Bien Hoa, fait sauter le principal dépôt de munitions, tandis que 4 canons de 130 mm endommagent la piste et plusieurs appareils. La base est hors-jeu pour une demi-journée. Le régiment 95B et le 33ème régiment de la 6ème division déclenchent une attaque surprise nord-sud contre le 52nd IR sur la colline du Fer à cheval et à Nguyen Thai Hoc. Le 33ème régiment prend Dau Giay et se prépare à investir Nguyen Thai Hoc, mais doit contenir Khoi qui reprend son avance à l'ouest. Le régiment 95B attaque trois fois, sans succès, la compagnie qui défend la colline du Fer à cheval. Le commandant du 52nd IR ordonne alors à la 2ème compagnie du 3rd Battalion de renforcer la position. Un autre assaut est brisé et un bataillon nord-viêtnamien envoyé dans une manoeuvre de contournement est écrasé par l'artillerie. Les pentes de la colline sont couvertes de morts nord-viêtnamiens.

Au milieu de l'après-midi, le 33ème régiment s'élance contre Nguyen Thai Hoc, où se trouvent les restes du 52nd IR et du 5th Armored Cavalry. A 18h00, le commandant du régiment ordonne la retraite des défenseurs de la colline du Fer à cheval. Tout le régiment se replie pendant la nuit, non sans pertes, alors que l'artillerie nord-viêtnamienne expédie un millier d'obus sur Xuan Loc pour empêcher le reste de la 18th ID et la 1ère brigade aéroportée de soutenir le 52nd IR. Les Nord-Viêtnamiens marquent un point décisif en empêchant l'ARVN de percer à travers la route n°1 pour relier Xuan Loc à l'extérieur, du côté ouest. Le général Toan dépêche alors le 8th Regiment de la 5th Infantry Division, au nord de Saïgon, pour aider la 3rd Armored à déboucher. Malgré tout, les deux formations ne peuvent venir à bout des défenseurs du régiment 95B et de la 6ème division à Hung Loc et Hung Nghia. Les communistes ont bâti une dizaine de positions fortifiées, tenues par des sections renforcées. Plusieurs journalistes venus couvrir les combats sont d'ailleurs blessés. La 341ème division prend la relève des deux formations engagées, tandis que les canons de 130 mm, renforcés par une batterie de roquettes de 122 mm, maintiennent un feu constant sur Bien Hoa.

Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/3/31/HCMC5.jpg


Le 20 avril à 9h00, Toan vient auprès de Dao pour lui donner l'ordre de replier sa division afin de la sauvegarder pour la défense de Saïgon. Encerclée, ayant perdu Dau Giay, la division de Dao à Xuan Loc devient inutile comme abcès de fixation. Dao choisit de percer via la route n°2, au sud, celle-là même qu'avait attaquée un mois plus tôt la 6ème division nord-viêtnamienne. Pour éviter de subir le sort du IIème corps, Dao fait survoler la route par un de ses officiers en hélicoptère, qui rapporte qu'il n'y a pas de barrage. Pour camoufler ses préparatifs, Dao jette la 1ère brigade aéroportée, soutenue par toute l'artillerie, contre la 7ème division à l'est de Xuan Loc. Dao marchera à pied avec ses hommes tandis que le colonel Dung, commandant le 52nd IR, survolera la colonne dans son hélicoptère personnel. Le 48th IR quittera Tan Phong à 20h00, suivi par les blindés, l'artillerie et la logistique. Arrivée à l'ancien avant-poste américain de Long Giao, l'artillerie établira une firebase, couverte par la compagnie de reconnaissance, pour protéger la retraite. Puis suivront les forces régionales et les civils. Deux bataillons du 43rd IR, le 2nd Battalion, 52nd IR et le 82nd Ranger Battalion seront les derniers à partir. L'arrière-garde sera formée du 2nd Battalion, 43rd IR et de la 1ère brigade aéroportée. Pendant la nuit, le 2nd Battalion quittera la montagne Thi et fera la jonction avec les paras près de Tan Phong, avant de se mettre en route à l'aube du 21 avril.

L'évacuation se passe relativement bien et Dao parvient à sortir du chaudron l'essentiel de son effectif. Les Nord-Viêtnamiens, surpris, accourent pour surprendre l'arrière-garde et déciment en partie la brigade aéroportée. Le 2nd Battalion du 43rd IR, qui a attendu en vain les paras, doit couper à travers la jungle pendant trois jours et perd la moitié de son effectif. Pendant la retraite, l'unité d'interception radio sud-viêtnamienne parvient à localiser le QG avancé de la 341ème division, qui émet frénétiquement dans de vaines tentatives pour rattraper les Sud-Viêtnamiens. L'aviation sud-viêtnamienne décide de lâcher sur ce point une fuel-air/cluster bomb CBU-55, conçue à l'origine pour le nettoyage des champs de mines. Un C-130, équipé pour l'emport, avec l'aide des Américains, lâche le projectile sur le secteur à l'est de Xuan Loc. L'explosion et la surpression d'air auraient tué pas moins de 250 hommes. Le lâcher de cette CBU-55 marque la fin de la bataille de Xuan Loc. Le 22 avril, le 8th Regiment parvient à reprendre Hung Nghia, mais reçoit bientôt l'ordre de se replier. La 1ère brigade aéroportée est envoyée dans la province de Phuoc Tuy et le 25 avril, la 3rd Armored se prépare à Bien Hoa pour la défense de Saïgon.

Lors de la bataille de Xuan Loc, la 18th Infantry Division a perdu un tiers de son effectif. Elle revendique 5 à 6 000 pertes infligées à l'ennemi, ainsi que 37 chars ou véhicules blindés mis hors de combat. Pendant le siège, Xuan Loc a reçu pas moins de 20 000 obus ou roquettes de la part de l'artillerie nord-viêtnamienne.


Conclusion


Dès le 10 avril, le président américain Ford se sert de la résistance à Xuan Loc, devant le Congrès, pour demander une aide militaire de 722 millions de dollars pour le Sud-Viêtnam. Quelques jours plus tard, le 14 avril, face au comité des relations étrangères du Sénat, Henry Kissinger utilise le même exemple pour montrer que l'ARVN n'a pas baissé les bras. En vain. Le 17 avril, la demande de Ford est rejetée, alors même que le Cambodge tombe aux mains des Khmers Rouges. Quatre jours plus tard, le président Thieu démissionne et fustige l'attitude américaine au regard de la signature des accords de Paris, et par la suite. Le 30 avril, les chars nord-viêtnamiens entrent dans le palais de l'Indépendance à Saîgon : le Sud-Viêtnam a vécu.

La fin du soutien américain, depuis les accords de Paris et encore plus avec la chute de Nixon, a assurément contribué au lent déclin du Sud-Viêtnam face au Nord. Faut-il pour autant en faire l'élément décisif ? En réalité, le Sud-Viêtnam a d'abord été vaincu par un adversaire qui a soigneusement planifié l'offensive finale, marquée par une stratégie très élaborée -avec des coups de génie comme l'assaut sur Ban Me Thuot- et un commandement d'unité très efficace, malgré les rivalités internes au sein du haut-commandement nord-viêtnamien. L'armée sud-viêtnamienne a pour sa part pâti de l'absence d'un commandement centralisé, et d'une défense en réalité divisée entre les quatre zones tactiques et les corps d'armées correspondants : une structure incapable de repousser une offensive à l'échelle de tout le pays. En outre, conçue sur le modèle américain, l'ARVN ne peut plus tenir sans l'appui des Etats-Unis : toutes les réserves d'élite sont engagées dans le Ier corps, et la réserve restante est la promesse de l'intervention aérienne et navale américaine. Or celle-ci n'existe plus. La magnifique défense de la 18th Infantry Division à Xuan Loc, en servant de point de fixation, a aussi contribué à épuiser les dernières réserves sud-viêtnamiennes.

La bataille de Xuan Loc est probablement la plus fameuse de la campagne finale du Nord au Sud-Viêtnam, en 1975. Elle montre, comme beaucoup d'autres engagements, souvent de moindre envergure, que l'ARVN est loin d'avoir baissée les bras ou de s'être rendue en masse face à l'assaut communiste. La défense intelligente de la ville par le général Dao prouve les capacités souvent négligées d'une armée sud-viêtnamienne mal considérée dans l'historiographie, tout comme ses limites face à la machine bien rôdée qu'est devenue l'armée nord-viêtnamienne. Le général Dao, après la chute de Saïgon, tente de rejoindre Can Tho pour continuer le combat dans le delta, avec le IVème corps . Le commandant du corps et son adjoint, eux, ont choisi le suicide. Dao se rend finalement le 9 mai et passe les 17 années suivantes dans un camp communiste. Relâché en 1992, il émigre aux Etats-Unis dès l'année suivante. De nombreux survivants de la 18th Infantry Division de l'ARVN ont fait de même dès la chute du Sud ou par la suite, et entretiennent la mémoire de leur unité et de son brillant faits d'armes aux Etats-Unis. C'est aussi pour cela, sans doute, que Xuan Loc reste l'un des exemples les plus connus de la performance de l'ARVN dans son dernier combat, au détriment d'autres épisodes tout aussi valeureux, bien que désespérés.


Bibliographie :


GRANDOLINI, Albert, « Objectif Saïgon ! 3Ème partie : La chute du régime sud-viêtnamien », in Batailles et Blindés n°54, avril-mai 2013, p.66-79.

« The Aftermath », in QUANG THI, Lam, Hell in An Loc, University of North Texas Press, 2009, p.220-244.

VEITH, George J., Black April. The Fall of South Vietnam 1973-75, Encounter Books, 2012.

VEITH, George J. ; PRIBBENOW, Merle L., « "Fighting Is an Art": The Army of the Republic of Vietnam's Defense of Xuan Loc, 9-21 April 1975 », The Journal of Military History, Volume 68, Issue 1 (December 29, 2004), p. 163-213.



1Tiré de la fameuse formule de Cicéron à propos de la deuxième guerre punique : Hannibal ante portas (Hannibal devant les portes).
3Army of the Republic of Vietnam : l'armée sud-viêtnamienne.
4La formule est du général Murray, attaché militaire américain à Saïgon après les accords de Paris, qui évoque les choix critiques que doivent faire les Sud-Viêtnamiens.
5La 5th Infantry Division a pourtant vaillamment défendu An Loc en 1972.
6La « faucheuse de marguerites », de plus de 6 tonnes, était utilisée pour ouvrir des landing zones pour les hélicoptères dans la jungle.

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