dimanche 15 septembre 2013

Le grand tourment sous le ciel. Première période : Les Seigneurs de Guerre (1/2)


Remarques préliminaires


Tous travaux concernant la Chine se heurtent à la transcription des idéogrammes chinois en alphabet latin. Compte tenu que l’auteur s’est appuyé principalement sur des sources anglophones, certaines datant d’une période antérieure aux année 1980, date à laquelle le système de transcription Pinyin a commencé à s’imposer, il a pris le parti d’utiliser l’ancien système Wade Giles, alors la norme internationale en usage. Le système de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO), longtemps utilisé en France, fonctionne sur le même principe de retranscription phonétique. Au delà de l’exercice périlleux de tous retranscrire en Pinyin, il est à noter que de nombreux noms de localités ou de repères géographiques ont changé de dénomination depuis 1949 en Chine. En se référant aux sources de l’époque, il limite au minimum les erreurs de traductions des noms alors en usage. Au delà des problèmes linguistiques, il est à remarquer que se cache aussi un problème politique car aujourd’hui encore Taiwan, la « province rebelle », refuse d’utiliser le Pinyin, préférant toujours le Wade Giles.

Les lecteurs désireux de se faire préciser la prononciation d’un mot pourront néanmoins se référer à l’annexe du tableau des conversions de l’UNESCO. 




Alors que la Chine est en train de surgir sur la scène mondiale en tant qu’acteur géopolitique majeur il parait opportun de se pencher sur son passé récent, un passé fait de violence que le régime actuel met en avant afin d’y puiser sa légitimité. Un passé aussi réinterprété et souvent méconnu en Occident et qui nourrit aujourd’hui un sentiment nationaliste grandissant dans le pays. Cette étude se veut une introduction à ce vaste sujet qu’est l’histoire militaire contemporaine de la Chine, de la chute de l’empire à l’avènement de la République Populaire.

A l’issue d’un développement mené à un rythme effréné, celle-ci s’est hissée au deuxième rang économique mondial alors que les disparités internes ravivent les tensions à la fois sociales et spatiales d’un immense territoire aux particularismes régionaux encore bien vivaces. Tout au long de son histoire l’empire du Milieu a dû composer avec à la fois des forces centripètes qui poussaient à la centralisation du pouvoir en un état fort, et de l’autre des forces centrifuges qui l’entraînaient vers sa dislocation dès que ce dernier s’affaiblissait au profit des autonomies régionales. Surmonter ces tendances, apprendre à les dompter afin d’unifier ce vaste ensemble pour en faire émerger la Chine moderne fut un processus long et douloureux dont il importe de faire remonter les origines à la fin de la dynastie Ch’ing.
 

Albert Grandolini.

Aux origines des pouvoirs militaires locaux

La dynastie Ch’ing qui s’empare du pouvoir en 1644 est avant tout d’origine nomade. Aussi l’organisation militaire des nouvelles autorités est-elle fondée sur la dualité et l’équilibre entre des formations issues des élites mandchoues et leurs alliés mongols, et celles constituées de troupes chinoises (Han). Sur le plan organisationnel, la nouvelle armée chinoise est subdivisée entre les « Huit Bannières » et « l’Etendard Vert ». Les « Bannières » étaient à l’origine des divisions administratives dans lesquelles étaient réparties l'ensemble de la société mandchoue, de façon héréditaire, en fonctions des liens tribaux ou familiaux. Les Bannières militaires évoluèrent en 24 régiments de 7 500 hommes à raison de huit pour respectivement les Mandchous, Mongols et Hans, pour ces derniers, ceux qui avaient ralliés la cause mandchoue dès le début. L’appartenance y était héréditaire, de père en fils. Le plus gros des régiments des Bannières fut regroupé à Pékin, proche de la Cour, et servait de réserve centrale. Quelques régiments étaient néanmoins déployés dans certaines villes de province clef. Néanmoins, vers la fin du 18eSiècle, la valeur militaire des Bannières avait considérablement diminué alors que leurs effectifs avaient doublé. 



Soldats de l’Etendard Vert, années 1860 – 1880. Sources tiexue.net.

 

L’Etendard Vert a pour origine les troupes chinoises levées après la chute de la dynastie Ming. Les hommes étaient des engagés volontaires, recrutés traditionnellement parmi les classes les plus défavorisées. Les officiers sont peu instruits et proviennent souvent du rang, ce qui ne contribue pas à valoriser l’image du soldat dans une société chinoise traditionnellement méprisante pour le métier des armes. Les Mandchous n’arriveront pas à faire évoluer cette perception des choses ce qui posera de nombreux problèmes lorsqu’il s’agira de réformer et moderniser l’institution militaire. Au milieu du 18e Siècle, l’Etendard Vert alignait approximativement deux fois plus d’hommes que les Bannières ; 600 000 contre 300 000. Ils assumaient des tâches de garnison, par bataillons, à travers tout l’empire. Celui-ci était alors subdivisé en 18 provinces placées sous la responsabilité de 16 gouverneurs chinois et deux provinces sous la coupe directe de la Cour. Les gouverneurs chinois étaient de leur côté sous la supervision de 8 gouverneurs-généraux mandchous, dans un subtil système d’équilibre de répartition des pouvoirs entre les différentes nationalités et entre les pouvoirs civils et militaires. Même si chaque gouverneur ou gouverneur-général civil contrôlait chacun un bataillon de l’Etendard Vert pour des tâches de police, leur rôle principal consistait à gérer le fonctionnement économique et judiciaire de ses administrés et surtout à lever l’impôt. Ces ressources fiscales étaient ensuite réparties entre les besoins locaux et ceux de l’administration centrale. Le maintien de l’ordre intérieur contre les troubles et rebellions et la défense des frontières revenaient aux généraux de brigades (Tsung Ping) mandchoues des Bannières et commandants en chefs (T’i Tu) chinois des Etendard Verts. Ces derniers avaient même rang hiérarchique que les gouverneurs de province alors que les généraux de brigades avaient rang d’égalité avec les gouverneurs généraux.


Carte administrative des provinces de Chine, années 1900 – 1925, hors Sinkiang (Turkestan chinois) et Tibet. Source : Edward, L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
 

Ce système complexe interdisait de fait une unité de commandement des forces armées. Il fut mis à rude épreuve au 19e Siècle et s’avéra complètement dépassé lorsqu’il fut confronté à l’immense révolte des Taiping (1851-1866) et surtout lors de la Guerre de l’Opium (1839-1842) contre les Britanniques. Ce conflit fut le tournant démontrant l’extrême vulnérabilité de la Chine face aux appétits des Occidentaux, ouvrant l’ère des « Traités Inégaux ». Les généraux chinois furent abasourdis par le retard technologique de leurs troupes. Des voix s’élevèrent pour moderniser l’armée. Mais ce courant réformateur demeurait faible face aux fortes réticences des traditionalistes, sûrs de la « supériorité morale » des vertus chinoises sur les « barbares  étrangers ». Jusqu’à la fin du siècle, les autorités de Pékin firent de timides tentatives pour acquérir des systèmes d’armes modernes, notamment en construisant l’arsenal de Kiangnan (Shanghai) pour y produire des armes d’infanterie et de l’artillerie, et le chantier naval de Foochow pour construire ou assembler des navires à vapeur. Surtout, comme si Pékin craignait que l’introduction des techniques occidentales allait aussi introduire de nouveaux concepts politiques qui risquaient de remettre en cause l’ordre confucéen classique, cette modernisation se fit de façon ciblée, avec seulement quelques unités en charge de tester les nouveaux armements. Et encore, leur mise en œuvre n’était pas toujours des plus efficaces, car pour beaucoup de responsables chinois, la possession de ces armements relevaient plus d’une croyance en la puissance intrinsèque de leur supposée « puissance » qu’à une connaissance réelle de leurs capacités techniques, et surtout leur utilisation tactique. La médiocrité de l’encadrement, particulièrement au sein de l’Etendard Vert, n’a fait qu’accentuer ce trait. Les défaites humiliantes successives face aux Occidentaux et Russes dans les années 1860 – 1880 ne firent que renforcer le discrédit du régime mandchoue. La défaite, en 1895, contre un Japon tout juste modernisé fut ressentie comme une humiliation encore plus grande.

Face à la déliquescence de son outil militaire, Pékin autorisa la levée « d’armées de milice » au niveau local. Ces unités avaient un recrutement plus large, ses officiers provenant de la basse noblesse éduquée, et faisaient parfois appel à des mercenaires occidentaux pour les encadrer et les instruire dans l’utilisation des armements modernes. Le fait de concéder à certains responsables locaux la direction de ces armées modernisées créa un précédent du fait de leur influence grandissante et de l’ascendant qu’ils prenaient sur le reste de l’appareil militaire. A terme, ils s’érigeront en rivaux du pouvoir central. Pourtant celui-ci, conscient du risque, prit des dispositions afin de contrôler cette armée dans l’armée. Pékin, pensant assurer un contrôle politique sur ces nouvelles formations, les placèrent sous la supervision directe des gouverneurs civils, considérés comme étant plus fiables et loyaux que les officiers militaires. Parmi les figures marquantes de ces nouveaux gouverneurs « combattants », citons Tseng Kuo Fan dans le Hunan ; Tso Tsung T’ang dans le Fukien ; et surtout Li Hung Chang dans l’Anhwei. Au plus fort de son influence dans les années 1890, il contrôlait pas moins de cinq provinces, dont les trois plus occidentales bordant le Yangtze, avec les villes clefs de Wuchang et Nankin. Profitant du développement du port de Shanghai concédé aux étrangers, il mit à profit les recettes fiscales pour mettre sur pied la première flotte moderne de la Chine, celle du Peiyang ou de « l’Océan du Nord ». Il unifia ses unités de milices pour en faire « l’Armée du Peiyang », une des plus efficaces de l’Empire.



Soldats impériaux de la Nouvelle Armée  - Armée du Peiyang, années 1890 – 1910. Sources tiexue.net.
 

Mais le fait d’octroyer à une classe politique régionale les outils militaires indispensable pour une éventuelle conquête du pouvoir portait en germe les ferments de division du pays. Entre temps, avant que les digues ne soient emportées, le régime impérial tenta une ultime fois de secouer le joug étranger en appuyant maladroitement la révolte des Boxers (1900-1901). Cela se termina sur un désastre avec une nouvelle invasion dans le cadre d’une coalition inédite de toutes les puissances étrangères ; la stratégie traditionnelle du « diviser les Barbares pour qu’ils se battent entre eux » avait complètement échoué !

Acculé, le régime impérial fut contraint de se réformer. Au centre de cette dynamique, la modernisation cette fois-ci de toute l’armée. Elle doit s’inspirer et s’appuyer sur le modèle des meilleures armées régionales, dont évidemment celle du Peiyang qui entre temps a été placée sous la direction d’une étoile montante de la politique chinoise, Yuan Shih Kai. Fin manœuvrier, pouvant à la fois être conciliant et brutal, il semble d’abord proche des réformateurs mais les abandonnent à leur funeste sort lors de la répression du 22 septembre 1898 de l’impératrice douairière Tseu Hi. Il s’attire ensuite les bonnes grâces des Occidentaux en réprimant impitoyablement les Boxers survivants. Il va être l’un des instigateurs de la réforme militaire de 1901 qui s’inspire du modèle japonais. Le désuet système de sélection du corps des officiers est aboli au profit d’académies militaires modernes alors que l’organisation des forces en divisions est définitivement adoptée. Des officiers japonais sont recrutés comme instructeurs, car coûtant moins chers que des Occidentaux, et d’autre part sont culturellement plus proches des Chinois. Entre temps, il est aussi décidé d’abolir l’antique système de concours mandarinal au sein des administrations civiles. Yuan Shih Kai copréside la Commission pour la Réforme de l’Armée qui conclut ses travaux en septembre 1904 ; elle préconise la mise sur pied d’une «Nouvelle Armée» ou Lu Chün de 36 divisions entraînées et armées à l’occidentale. Un programme qui doit s’étendre jusqu’à 1922.

Chaque division doit avoir deux brigades d’infanterie à deux régiments de trois bataillons à quatre compagnies, un régiment d’artillerie (54 pièces en neuf batteries), un régiment de cavalerie à trois escadrons, un bataillon du génie et un bataillon de transport et service. L’effectif théorique de chaque division est de 12 512 hommes en temps de paix, qui pourra être porté à 21 000 hommes, en temps de guerre, en doublant les effectifs des compagnies d’infanterie. L’influence japonaise est ici indéniable car la division est l’unité de base de la manœuvre et non le corps d’armée.

Les recrues doivent être sélectionnées soigneusement pour un service de trois ans. Elles sont ensuite reversées dans la réserve de 1e catégorie pour une période de trois ans, puis dans la 2e catégorie pour encore quatre ans. Bien sur, pas de système de conscription dans un pays aussi vaste et peuplé que la Chine. Le recrutement demeure cependant sur une base régionale car l’état ne peut assurer une administration centralisée de ces nouvelles troupes. A cela s’ajoute toujours les problèmes d’équilibres des pouvoirs entre l’administration centrale et les féodalités régionales, entre aussi les nationalités. Par conséquent, l’empire continue de maintenir en parallèle une grande partie des forces traditionnelles, Bannières et Bande Verte. Malgré les réticences de l’appareil administratif, le Bureau de Guerre et remplacé par un Ministère du même nom en septembre 1906.

La chute du système impérial

Mais toutes ces réformes arrivent trop tard car elles s’effectuent dans un contexte social et économique désastreux suite aux différentes guerres civiles qui se sont succédées. En outre, les puissances étrangères ont imposées des « réparations » exorbitantes de 450 millions de taels pour « dédommagement » après la révolte des Boxers ; à titre indicatif, le budget de l’état chinois pour 1902 se monte à 105 millions de taels ! L’ambitieuse réforme dans ces conditions ne peut être menée à terme. La plupart des nouvelles divisions n’ont toujours pas reçu leurs équipements lourds dix ans plus tard et leur instruction est des plus variables. L’état central étant incapable de fournir l’effort nécessaire, le financement, l’organisation et la mise sur pied est alors de nouveaux partiellement délégués aux autorités régionales. Ce qui va à l’encontre de l’objectif de la réforme qui est d’avoir une armée nationale.



Les principaux axes ferrés en Chine, années 1900 – 1930. Edward, L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.


A la veille de la disparition de l’impératrice douairière Tseu Hi, les unités les plus effectives de la « Nouvelle Armée » (environ 200 000 hommes) sont évidemment celle de l’armée du Peiyang avec six divisions qui impressionnent favorablement les attachés militaires étrangers lors de manœuvres où les troupes sont déplacées rapidement par chemin de fer. Il y aussi les unités de la province du Hupei du gouverneur Chang Chin Tung qui aligne la 8e division et la 21e brigade. Les efforts pour se doter d’une industrie d’armement donnent des résultats médiocres. Les arsenaux de Tientsin, Wuhan, et Kiangnan continuent de fabriquer des armes dépassées et la production sous licence de fusils Mauser de 7,9mm insuffisante. Les acquisitions de matériels étrangers, surtout pour l’artillerie, se fait de façon désorganisée sans soucis de standardisation, en fonction des offres des différentes puissances qui exercent leurs influences sur des parties entières du pays et de la corruption des élites locales.

Ces bouleversements et réorganisations provoquent de plus en plus de mécontentement au sein de l’armée, en partie travaillée par des idéaux révolutionnaires propagés par des activistes qui veulent renverser la dynastie mandchoue. Depuis sa fondation celle-ci est en butte à une sourde hostilité d’un sentiment national chinois toujours vivace. Au 19e Siècle, il s’exprime violemment comme on l’a vu lors de la révolte des Taiping. Sun Yat Sen reprend le flambeau sous sa version moderne et en appelle au renversement de la monarchie au profit d’une république. Il tente d’abord de s’appuyer sur les sociétés secrètes mais celles-ci demeurent dans leur grande majorité traditionalistes. Exilé, Sun Yat Sen parvient néanmoins à rallier les diasporas chinoises des Etats-Unis et du Sud Est Asiatique qui lui fournissent un soutien financier important. Il change de stratégie et vise les élites chinoises, notamment les étudiants envoyés poursuivre des études à l’étranger. Parmi ceux-ci, il cible particulièrement les stagiaires militaires envoyés dans les académies japonaises parfaire leur formation. Organisées en cellules révolutionnaires clandestines, ces jeunes officiers de retour au pays vont de plus en plus noyauter les unités de la « Nouvelle Armée », d’autant que l’immense majorité de ses officiers sont des Chinois. A tel point que la cour s’en inquiète et met sur pied une Division de la Garde constituée de Mandchous en 1908. Elle nomme aussi Yuan Shi Kai au sein du Grand Conseil, à la fois pour le couper de l’armée du Peiyang où se trouvent ses fidèles, et en même temps pour contrebalancer l’influence des ultras du camp mandchou. En réalité, loin de diminuer les tensions, cette architecture fragile ne fait qu’accentuer le gouffre béant entre la monarchie et les élites régionales. La concurrence et la défiance règnent désormais jusqu’au plus haut sommet de l’état entre Mandchous et Chinois. Yuan Shi Kai commence à susciter jalousie et crainte, y compris de la part du nouveau ministre de la défense, le mandchou T’ieh Liang. La proclamation d’une constitution en 1907, pourtant ultra conservatrice, n’arrive pas à calmer le jeu politique. La « Nouvelle Armée » est désormais au centre de celui-ci. Mais comme dans l’empire ottoman, les formations militaires modernisées, loin d’être un soutien au trône, s’avèrent au contraire être des facteurs d’instabilité politique.

En effet, plusieurs mutineries éclatent dans des garnisons dans le sud du pays. A chaque fois elles sont durement réprimées. Le nouveau régent qui gouverne à la place du jeune empereur Pu Yi pense reprendre les rennes en renvoyant Yuan Shi Kai et en ne s’entourant que de membres de la famille impériale. Il décide aussi de précipiter la réalisation du plan des 36 divisions, avancé à 1912, tout en renonçant à un autre plus ambitieux de 55 divisions. Mais les évènements vont aller en s’accélérant.

Soldats lors de la révolution de 1911. Sources tiexue.net.
 

Dans la nuit du 9 octobre 1911, une nouvelle mutinerie éclata à Wuchang au sein de la 8e division. Au confluent de la Han et du Yantze, la ville jouxte les cités de Hanyang et Hankow, avec ses concessions internationales, et constitue donc un des principaux nœud de communications fluviales et terrestres, ouvrant la porte à la Chine du Sud. Le 30e régiment mandchou est surpris dans ses casernements et massacré. Rapidement les mutins s’emparent de la ville où s’ensuit un pogrom contre les civils mandchous. Pékin réagit rapidement en mobilisant l’équivalent de deux divisions de l’armée du Peiyang (4e division et éléments des 1e, 2e et 6e divisions) et les envoient par trains vers le sud. Dans le même temps, une flotte constituée de croiseurs protégés et de canonnières, sous les ordres de l’amiral Sa Chen Ping, remonte le Yangtze pour couvrir le franchissement du fleuve. Les rebelles sont repoussés devant Hankow. Mais des troupes de la 20e division refusent de partir pour le Sud. Le restant de la 6e division s’arrête au carrefour ferroviaire de Shihchiachuang et ouvre des négociations avec les rebelles. Puis c’est au tour de la flotte qui mouille devant Hankow de passer à la rébellion !

A Nankin, la 9e division se soulève à son tour et se range du côté des révolutionnaires. Grâce au télégraphe, d’autres mutineries se déclarent et des conseils régionaux en appellent à renverser la monarchie. Presque partout des combats éclatent entre les troupes de la « Nouvelle Armée », qui se déclarent pour la révolution, et celles de l’Etendard Vert. L’ampleur du mouvement révolutionnaire en surprend jusqu’à Sun Yat Sen qui se trouvait alors aux Etats-Unis. Il revient précipitamment à Nankin où il est investi premier président provisoire de la République de Chine.


Le père de la révolution chinoise, Sun Yat Sen, n’a pas réussi à asseoir son autorité après le renversement de la dynastie Ch’in. Il tenta en vain de rallier certains seigneurs de guerre à la cause républicaine. Source Wikipedia.
 

Les choses vont alors aller très vite et tout l’édifice va s’écrouler comme un château de cartes. Paniqué, la cour en appelle à nouveau à Yuan Shi Kai, espérant que l’armée du Peiyang se soumettra à son autorité. Il pose ses conditions en réclamant pratiquement les pleins pouvoirs militaires. Nommé Premier Ministre, il menace et négocie à la fois avec les rebelles. L’assemblée nationale révolutionnaire réunie à Nankin accepte ses conditions, avec l’assentiment de Sun Yat Sen qui démissionne et lui cède la place ! En effet devant le rapport de force défavorable, il espère rallier à sa cause la partie la plus moderne de l’institution militaire en amadouant Yuan Shi Kai. Le 12 février 1912, le dernier empereur, le jeune Pu Yi âgé de six ans, abdique. On l’autorise néanmoins à résider avec une partie de la cour au sein de la Citée Interdite.

Durant un peu plus d’un an, les Nationalistes du Kuomintang (KMT) qui ont obtenu la majorité absolue lors des toutes premières élections législatives jamais organisées, tentent de négocier avec un Yuan Shi Kai qu’ils espèrent parvenir à faire respecter les normes de la nouvelle constitution démocratique qu’ait jamais connu la Chine. Ils pensent que ce dernier acceptera de partager son pouvoir avec un gouvernement civil. L’illusion s’estompe rapidement car partout il place des hommes à lui, des gouverneurs militaires remplaçant les civils. D’autre part, au grand dam du KMT, il ne renégocie pas les conditions de contrôle budgétaire et fiscal du pays vis-à-vis des puissances étrangères. Au contraire, il contracte de nouveaux emprunts pour payer et développer l’armée du Peiyang. En 1913, il déclare le KMT hors la loi. Les milices nationalistes et les quelques unités demeurées fidèles à Sun Yat Sen se font étriller dans une série d’engagements dans le bassin du Yantze. Sun Yat Sen s’exile au Japon d’où il appelle à une seconde révolution contre Yuan Shi Kai.

Le 12 décembre 1915, franchissant une nouvelle étape, Yuan Shi Kai se proclame Empereur, sous le nom de Hong Tsiang, à la tête d’une nouvelle dynastie chinoise Han. Il se heurte à la fronde des provinces du Sud (Yunnan, Kwantung, Kwangsi et Kweichow) regroupées autour du gouverneur du Yunnan qui proclame un « Gouvernement National » à Chaoching, près de Canton. Celui-ci met alors sur pied « l’Armée de Protection Nationale », organisée autour des éléments de la Nouvelle Armée opérant dans le Yunnan, soit la 19e division et la 37e brigade. L’académie militaire de Yunnanfou fournit l’encadrement nécessaire aux autres forces provinciales grâce à des cadets bien formés. Le rétablissement de la monarchie sera de courte durée car l’opposition se fait jour au sein même des généraux de l’armée du Peiyang qui craignent que Yuan Shi Kai ne les prive de leurs pouvoirs. D’autre part, le Japon menace ouvertement d’intervenir pour « rétablir l’ordre » tout en misant ouvertement sur les Républicains. Isolé, alors que les armées du Sud progressent, Yuan Shi Kai consent à abdiquer le 22 mars 1916 après un règne de 83 jours. Le 4 juin, il décède brutalement d’une hémorragie cérébrale, laissant le pays au bord de la guerre civile.

Yuan Shi Kai qui s’empara de la présidence de la République de Chine à l’issue de la révolution de 1911. Il tenta brièvement de se proclamer empereur en 1915. Source Wikipedia.


Une période frénétique de tractations s’ensuit où certains leaders du KMT tentent de sauvegarder l’unité du pays tandis qu’une guerre de succession a lieu pour le contrôle de l’armée du Peiyang. Les institutions civiles républicaines sont formellement rétablies de même que le parlement. C’est dans ce cadre dissolvant que la Chine entre à son tour dans la 1e Guerre Mondiale en déclarant la guerre à la Triple Alliance des Empires Centraux! En rejoignant le camp allié, la Chine promet de mettre sur pied un corps expéditionnaire, « l’Armée de Participation à la Guerre », de 3 divisions et 4 brigades mixtes (40 000 hommes) qui seront déployées en Europe. En contrepartie, les Occidentaux, et surtout les Japonais, s’engagent à l’équiper et à en financer le fonctionnement. Bien sur, la mise sur pied de cette force destinée à l’Europe va trainer en longueur car le but de la manœuvre est évidemment de bénéficier des subsides pour en fait renforcer l’armée du Peiyang dans la compétition pour la conquête du pouvoir qui s’ouvre. Par contre, près de 200 000 chinois seront envoyés en France avec un statut flou, mi-civil, mi-militaire, pour servir comme ouvriers, terrassiers pour le creusement des tranchées ou encore dans la logistique.

Le 1e juillet 1917 le gal Chang Hsun, dont les troupes conservent encore la natte, signe de soumission et de fidélité à la cause impériale, occupe Pékin et proclame la restauration de l’empire mandchoue ! Le coup d’état ne dure pas plus d’une semaine avant, qu’isolé, il soit forcé d’abdiquer. Désormais, tout semblant de gouvernement civil s’effondre. Les chefs de l’armée du Peiyang se partagent le pouvoir  entre Chün Fa ou « Cliques militaires ». Fen Kuo Chang, à la tête de la « Clique du Chihli », regroupant les gouverneurs militaires des provinces du Hupei, Kiangsi, Kiangsu et Chihli, assure la Présidence de la République ; Tuan Chi Jui, chef de la « Clique de l’Anhwei », soutenus par les gouverneurs militaires des provinces de l’Anhwei, Honan, Shensi, Chekiang, Fukien, Shantung, Suiyuan, Chahar et Jehol, ainsi que la région de Pékin, en est le Premier Ministre. Il est le véritable maître du pays, après avoir déposé Chang Hsun. Mais la défiance règne entre eux alors que des provinces entières échappent à l’autorité centrale du gouvernement. En effet, profitant des troubles, les marches frontières ont pratiquement recouvré leur indépendance ; Tibet, Mongolie, Sinkiang. Dans le Shansi, le gal Yen Hsi Shan, après avoir soutenu la révolution, y a érigé un véritable état indépendant, un statut qu’il maintiendra pratiquement jusqu’à la victoire des Communistes en 1949. Surtout, le maréchal Chang Tso Lin, un ancien bandit de grands chemins adoubé chef militaire par les autorités impériales qui n’arrivaient pas à le réduire, a regroupé autour de lui pratiquement toutes les provinces (Heilungkiang, Liaoning et Kirin) constituant la Mandchourie au sein de la « Clique du Fengtien ». Il est tacitement appuyé par les Japonais qui y gèrent le réseau ferré local. Les provinces du Sud sont en état de sécession, avec Tang Chi Yao à la tête du Yunnan alors que Lu Jung Ting contrôle le Kwangsi et une partie du Kwangtung. Les provinces du Hunan et du Szechwan sont quant à elles divisées entre de nombreux chefs locaux. Les musulmans chinois (Hui) se sont aussi soulevés sous la direction de Ma Pu Fang qui occupe les provinces occidentales du Kansu, Ninghsia et Chinghai, entre plateaux tibétains et mongol, et entre le désert de Gobi et la vallée du Fleuve Jaune. Entre les unités militaires rivales, milices et groupes de brigands, les observateurs étrangers estiment alors que près d’un million d’hommes en armes font régner l’insécurité dans les campagnes à la fin de 1919.

Entre temps, Sun Yat Sen est revenu d’exil et s’est installé à Canton où il en fait la base d’appui du KMT. Il y proclame, le 3 septembre 1917, un « Gouvernement Militaire », et s’arroge le titre de Généralissime. Cependant, sa marge de manœuvre et des plus étroites car il ne dispose que de peu de troupes, à part une partie de la Marine. L’amiral Chen Pi Kuang a en effet rallié la cause nationaliste. Les marins, réputés plus libéraux, s’opposent au gouvernement de Pékin au sein de la « Clique du Fukien » mais leur leader est rapidement assassiné. Sun Yat Sen ne peut alors que composer avec les chefs du Sud, les généraux Tang Chi Yao et Lu Jung Ting qui ont entre temps dissous, le 14 juillet 1916, le « Gouvernement National » de Chaoching.

Tuan Chi Jui, chef de la Clique de l’Anhwei fut l’homme fort de la Chine entre 1917 et 1920. Il tenta en vain de maintenir l’unité de l’armée du Peiyang. Source Wikipedia.


Les premiers combats de la guerre civile éclatent sur la ligne de contact entre les forces du Peiyang et celles du Sud. La province du Szechwan concentre toutes les attentions car les autorités locales se sont effondrées à la suite de la révolution. Les troupes yunnanaises l’occupent partiellement, surtout pour exploiter ses mines de sel qui apportent des revenues confortables. Pékin ordonne alors le déploiement des 8e et 20e divisions de la « Clique de l’Anhwei » pour les repousser. Mais après avoir subi des pertes sensibles, celles-ci négocient une trêve. Des combats éclatent alors brièvement dans la province du Hunan mais aucune des parties ne semblent encore vouloir en découdre pour de bon, même si désormais les unités nordistes paraissent de loin mieux organisées que celles du Sud. En effet, l’ascendant de l’armée du Yunnan s’est estompé et dissous dans le factionnalisme. En fait, c’est en Chine du Sud que les régionalismes vont s’affirmer avec le plus de virulence dans un climat de délitement de l’état central qui va aussi servir d’incubateur aux mouvements révolutionnaires, d’abord nationaliste, puis communiste. Le parti communiste, créé le 23 juillet 1921 dans la concession française de Shanghai, tente de noyauter les premiers mouvements ouvriers d’un prolétariat naissant dans les grandes villes. En effet, la 1e Guerre Mondiale profite à l’industrialisation de la Chine, surtout le secteur textile en pleine expansion grâce à des capitaux japonais, afin de répondre aux besoins de l’Europe. L’annonce à la conférence de la Paix à Paris que les possessions allemandes de la Chine vont être transférées au Japon provoque une indignation générale dans le pays. Menés tout d’abord par les étudiants, à partir du 4 novembre 1919, des manifestations et des émeutes antijaponaises éclatent à travers les grandes villes du pays. Elles marquent l’émergence d’une conscience patriotique qui non seulement rejette la domination étrangère mais aussi en appelle à un véritable gouvernement national, critiquant avec virulences les différents clans des « seigneurs de guerre » ou « Tuchün », un terme qui s’impose à partir de 1919.

Le règne des Tuchün  

Or ceux-ci dominent plus que jamais le jeu politique et pendant encore deux ans Tuan Chi Jui parvient à maintenir la fiction d’un gouvernement chinois. Avant toute chose, il faut maintenir l’unité de l’armée du Peiyang. Or celle-ci montre des signes évidents de dislocation, les commandants de brigades et divisions s’érigeant en potentats locaux en utilisant leurs troupes pour se tailler des fiefs. Sur le papier, elle contrôle encore en Mandchourie les 6e, 10e, 27e et 28e divisions, ainsi que la 2e brigade mixte ; dans la Chine centrale les 1e, 2e, 4e, 8e et 20e divisions. Avant l’été 1919, il y avait encore l’espoir que Tuan Chi Jui parviendrait à arrêter un compromis entre les différentes factions et restaurer le gouvernement central. Mais la mécanique infernale était enclenchée et tous efforts dans ce sens allaient être contrecarrés par la logique même du système quasi féodal des seigneurs de guerre où les liens de loyauté et de subordination personnels ont supplanté tous liens hiérarchiques officiels.

Un « seigneur de guerre » type est généralement un gouverneur militaire d’une ou de plusieurs provinces. Un titre qui lui a généralement été attribué par le « gouvernement central », avec lequel il ne maintient qu’un lien de vassalité distant, mais parfois, il se l’est arrogé lui-même par la force. Il mène ses troupes en personne souvent pour chasser l’autre Tuchün de son fief pour s’en emparer. Une fois la tâche accomplie, il se rend compte rapidement que sa nouvelle province a été saignée à blanc par son prédécesseur. Mais quoi qu’il en soit, il faut qu’il rentre dans ses frais, ne serait-ce que pour rembourser ses soutiens et payer, de façon irrégulière, ses soldats. Car s’il n’arrive pas à s’assumer financièrement, il tombera irrémédiablement sous la coupe d’un autre seigneur de guerre. Il ne peut donc que lever de nouveaux impôts, notamment les taxes foncières, perçues plusieurs années à l’avance ! L’extension des cultures d’opium, dans la mesure du possible, est aussi une activité très rémunératrice. A cela se rajoutent rackets et extorsions.

Soldats de la Clique du Chihli, années 190 – 1925. Sources Phillip, Jowett ; Andrew, Stephen, Chinese Civil War Armies 1911-1949, Osprey, Oxford 1997.
 

Brutalité et arbitraire sont les maux courants pour ses administrés. La population craint ainsi particulièrement les rotations des garnisons ; celles partantes, comme les nouvelles venues, s’arrogeant le droit aux pires exactions. La plupart des soldats sont toujours recrutés parmi les classes les plus défavorisées. Coupés du reste de leurs communautés, « l’armée » du seigneur de guerre devient sa nouvelle famille d’adoption. Même si son unité est dissoute, la bande souvent survit et sombre dans le banditisme. La vie y est misérable pour cette chair à canon, à la limite de la subsistance. Mais dans un monde rural chinois où le spectre de la famine rode, même un emploi au bord de la subsistance est une perspective envieuse, surtout s’il y a de temps à autre la promesse de butins. Les postes d’officiers sont bien sur nommés en fonction des liens personnels avec le Tuchün. Tout système de gestion centralisée du personnel qui existait encore avant la révolution de 1911, et dans l’armée du Yunnan jusqu’en 1916, avait pratiquement disparu. Toute l’armature d’une armée de seigneur de guerre repose désormais sur la loyauté personnelle. Celles-ci peuvent être subverties par la corruption, la « balle d’argent » dans le jargon local, ou la trahison. Néanmoins, des spécialistes sont toujours recherchés pour les postes d’encadrement intermédiaires, issus de quelques prestigieuses académies militaires, Paoting ou Kunming, surtout pour servir dans les armes techniques comme l’artillerie, le train ou même l’aviation. Car si certains seigneurs de guerre ne peuvent aligner que des bandes inorganisées pauvrement armées, d’autres, comme Chang Tso Ling en Mandchourie, disposent de forces conséquentes dotées d’armes modernes, de trains blindés, chars et d’avions de combat. On fait appel aussi à des mercenaires étrangers, surtout des Russes Blancs exilés. En fait, la dégradation continue de la situation fait qu’on estime le nombre d’hommes en armes dans la pays à environ 500 000 hommes en 1916 à un peu plus de 2 millions en 1928, pour une population globale de 470 millions. Les services de renseignement britanniques recensaient en 1918 la présence en Chine de 1 526 canons et obusiers, dont 46 pièces lourdes. Le nombre de mitrailleuses est estimée à seulement 1394, ce qui fait un ratio d’à peu près un canon et une mitrailleuse pour 1 000 hommes. A titre de comparaison, l’armée allemande alignait en moyenne 16 mitrailleuses et 6,4 canons pour 1 000 hommes à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un effort conséquent est fourni pour moderniser et développer les arsenaux locaux dans les années vingt mais qui n’arrive pas à répondre aux besoins. Les meilleurs arsenaux sont alors ceux de Mukden en Mandchourie de la Clique du Fentieng et Taiyuan dans le Shanxi. Hanyang est le centre de production le plus important pour la Clique du Chihli, suivi de celui de Kiangnan de Shanghai. La production chinoise globale est alors estimée à 7 000 fusils et 5,5 millions de cartouches par mois en 1923 à 16 000 fusils et 18,5 millions de cartouches par mois en 1928.

Il faut donc continuer à se tourner vers l’étranger pour l’essentiel des besoins malgré un embargo sur les ventes d’armes décrété le 5 mai 1919. Inspiré par les Etats-Unis, traversés par une vague de puritanisme, et soutenu par la Grande Bretagne pour d’autres motifs, les chancelleries occidentales parviennent aussi à rallier, avec des clauses restrictives, la France ainsi que le Japon. Mais d’autres pays producteurs d’armes ne signent pas le texte ; Allemagne, Autriche, Italie, Tchécoslovaquie, Suisse, Suède et Union Soviétique. L’embargo est d’autant plus fragilisé que dans une subtile hypocrisie, les puissances signataires autorisent leurs citoyens, « à titre privé », à faire le commerce des armes ! A travers eux, les services de renseignement de chaque puissance vont tenter d’influencer sur les évènements en Chine. Américains et Japonais qui visent déjà au leadership en Asie vont ainsi s’affronter sur ce terrain au travers de subterfuges pour chacun armer leurs obligés locaux. Quoi qu’il en soit, la Chine va rapidement absorber une partie des surplus d’armement de la Guerre Mondiale mais aussi les nouveaux modèles mis sur le marché. Les nouvelles armes d’infanterie, mitraillettes et fusils semi-automatiques, souvent délaissés dans leurs pays d’origine, vont ainsi être particulièrement prisées dans les entourages de gardes du corps des différents seigneurs de guerre. On assiste aussi à la mise sur pied d’aviations régionales qui mettent en œuvre des appareils modernes. La Clique de l’Anhwei qui contrôle l’armée mise sur pied pour participer à la guerre en Europe, rebaptisée « Armée de Défense des Frontières » en juin 1919, bénéficie des subsides japonais et commence à en importer des armes. La Clique du Fentieng s’arme aussi auprès des Japonais mais la France lui livre également des armes lourdes ; artillerie, chars Renault FT-17, bombardiers Bréguet 14. La Clique du Chihli et les provinces du Sud s’approvisionnent principalement auprès des Britanniques et des Français. A Canton, Sun Yat Sen qui a pour modèle la constitution américaine, tente en vain de se faire reconnaître comme étant le gouvernement légitime du pays et d’obtenir officiellement des armes de Washington. Désillusionné, il finira par accepter l’aide des Soviétiques.

L’importation des armes ne fait que perpétuer le cycle de violence. Elles confortent le pouvoir de potentats locaux, brutaux et parfois grotesques. Il en va ainsi du général « viande de chien », Chang Tsung Chang du Shantung, surnommé ainsi par les Occidentaux à cause de ses goûts culinaires et qui se vantait de ne jamais savoir combien il disposait exactement de troupes, résidences ou de femmes. Pas tous les seigneurs de guerres ne ressemblaient à cette caricature. Certains tentaient d’établir un mode de gouvernement plus acceptable, en imposant un semblant d’ordre civil et favorisant le redémarrage économique. Le plus avisé d’entre eux fut sans conteste Yen Hsi Shan, surnommé le « gouverneur modèle ». Il fit de sa province du Shansi un état quasi autonome, y développant les chemins de fer et l’industrie métallurgique de même que l’arsenal de Taiyuan qui fabrique aussi des mitrailleuses et des pièces d’artillerie. Dans le Sud, Chen Chiung Ming qui contrôle la partie orientale de la province du Kwangtung et le Fukien se vit comme un révolutionnaire en s’alliant à Sun Yat Sen à Canton. Même si plus tard il est amené à rompre avec le KMT, car il se fait le défenseur d’une Chine fédéraliste que plutôt centralisatrice, il initie des réformes sociales et prend sous son aile des intellectuels de gauche tels que Chen Tu Hsiu, un des futurs membres fondateur du parti communiste chinois, ou encore Peng Pai dont les théories de réformes agraires et d’organisation des masses paysannes vont être reprises par Mao Tsé Toung.

Les contemporains chinois aimaient à comparer leur situation politique en se référant à leur histoire, à la période des « printemps et automnes » entre les 8e et 5e Siècles avant notre ère, lorsqu’à l’effondrement de l’autorité impériale se substituèrent une série de royaumes et principautés se battant entre eux pour l’hégémonie. En effet la tension croissante entre Tuchün allait engendrer trois guerres majeures entre 1920 et 1925.

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