vendredi 20 septembre 2013

Le grand tourment sous le ciel Première période : Les Seigneurs de Guerre (2/2)

La guerre Anh – Chi (1920)


Du nom du conflit qui opposa les Cliques de l’Anhwei et du Chihli et à la surprise générale au détriment du premier. En effet, son chef Tuan Chi Jui semblait sur le point de s’imposer sur la scène politique nationale en contrôlant déjà la majeure partie des provinces du Nord et du Centre. Il avait noué des alliances avec la Clique du Fengtien en Mandchourie et bénéficiait comme celui-ci du soutien des Japonais. Surtout, il s’appuyait sur « l’armée de défense des frontières », considérée comme étant la plus moderne de Chine. D’ailleurs, dans une démonstration de force, des unités de celle-ci furent envoyés mater la première tentative d’indépendance de la Mongolie Extérieure en novembre 1919. Cette action s’inscrivait officiellement dans le cadre de la participation chinoise à l’effort allié en Sibérie contre les bolcheviques russes. Mais cette opération fut perçue par Chang Tso Lin comme une provocation ; le chef de la Clique du Fengtien avait lui-même des vues sur la région. Rompant les accords passés, il engagea des tractations secrètes avec Tsao Kun, chef de la Clique du Chihli. Ce dernier avait installé son quartier général au carrefour ferroviaire stratégique de Shihchiachuang d’où il massait ses troupes.

Tuan Chi Jui, trop sur de lui, fit une seconde erreur qui servit de prétexte au déclenchement des hostilités. Arguant de sa qualité de « chef de gouvernement », il décide de nommer un nouveau gouverneur de sa Clique, Wu Kuang Hsin, à la tête de la province contestée du Hunan. Charge à celui-ci d’y mater les différents seigneurs locaux. L’opération se heurte d’emblée à la Clique du Chihli dont les meilleures troupes, la 3e division, occupe déjà le sud de la province. Son chef Wu Pei Fu est sans conteste un des meilleurs officiers chinois. D’origine mandarinale, on le surnomme le « poète », car en campagne il se fait amener sa collection de pinceaux et d’encriers pour y rédiger des poèmes. C’est aussi un redoutable tacticien, sachant coordonner avec brio l’infanterie, l’artillerie et mêmes des véhicules motorisés et la TSF. Audacieux, il utilise les chemins de fer pour sa logistique et déplacer ses troupes sur de grandes distances pour prendre l’ennemi à revers.


Albert Grandolini

 

C’est dans cet état d’esprit qu’il décida d’agir. A la grande surprise de Wu Kuang Hsin, il décida de retirer le plus gros de ses forces sur Wuchang le 31 mai 1920. En fait, ce n’est qu’une diversion. En effet, il confie une de ses brigades à l’excellent Feng Yu Hsiang à Changte pour couvrir son flanc nord et bloquer les forces adverses concentrées à Hsinti sur l’autre rive du Yantze. Alors que la Clique de l’Anhwei n’envisageait qu’une opération limitée au Hunan, le « poète » parvient à convaincre ses supérieurs de frapper un coup décisif en s’emparant de Pékin ! Il développe un plan où les forces seront rapidement convoyées vers le Nord en trains, avec sa 3e division en tête. Simultanément, les troupes de Chang Tso Lin ouvriront un nouveau front à l’est de la capitale. Ainsi les officiers de la Clique de l’Anhwei seront obligés de diviser leurs forces d’autant que la plupart des brigades de « l’armée de défense des frontières » ont été éparpillées pour assurer des tâches de défense statique. Comme les forces du Chihli occupent aussi le Kiangsu, elles empêcheront que tout renfort ennemi soit acheminé des provinces du Sud, du Fukien et Chekiang, en bloquant la ligne ferrée Tientsin – Pukow.


Carte 3 : Principales factions lors de la Guerre Anh - Chih en 1920. Edward, L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
 

En fait c’est Chang Tso Lin qui fournit le gros des moyens des coalisés, quelques 70 000 hommes qui commencent à marcher sur Pékin en franchissant la passe de Shanhaikuan. Tuan Chi Jui dépêche la moitié de « l’armée de défense des frontières » sous les ordres de Hsu Shu Cheng pour bloquer les approches Est et Nord. Durant tout le mois de juin, il livre des combats retardateurs mais est obligé de retraiter vers les lignes intérieures face à la supériorité écrasante de son adversaire. L’autre moitié des forces disponibles de la Clique de l’Anhwei, 15 000 hommes, contrôlent les accès Sud sous les ordres de Tuan Chih Kuei. Elle fait face à l’avance foudroyante de Wu Pei Fu qui, en deux batailles successives, Chochow et Liuliho, livrés respectivement les 14 et 18 juillet, emporte la partie et pénètre dans Pékin. Tuan Chi Jui et une grande partie de son état-major se réfugient auprès de la délégation japonaise. C’en est fini de la puissante Clique de l’Anhwei.

Les vainqueurs se partagent ses dépouilles dans une coalition hétéroclite où la défiance règne. En effet, Chang Tso Lin qui légitimement peut revendiquer la plus grande partie de l’héritage de Tuan Chi Jui, au vu des moyens engagés, cède cependant la prééminence à la Clique du Chihli car il est encore peu implanté dans les provinces du Centre. Il ajoute néanmoins à son fief les provinces de Chahar, Jehol et Suiyuan. Surtout ; il s’approprie les restes de « l’armée de défense des frontières », avec ses équipements modernes. Celle-ci, malgré tout l’investissement consenti, s’est révélée une déception au combat.

Illustration 8: Le général Wu Pei Fu, surnommé le « Poète », fut un des meilleurs officiers de la Clique du Chihli. Source Wikipedia.
 

Afin de garder une carte dans sa manche, Chang Tso Lin laisse 30 000 hommes à Pékin avant de repartir pour sa Mandchourie. Il tente à son tour de « pacifier » la Mongolie mais se heurte cette fois-ci aux ambitions du Russe Blanc von Ungern-Sternberg. Surnommé le « Baron fou », fantasque et violent, il rêve de ressusciter un nouvel empire mongol à l’est du lac Baïkal, et lance des incursions en Sibérie orientale et dans le Turkestan chinois. Le destin de la Mongolie bascule finalement en 1921 lorsque les bolcheviques s’emparent du pouvoir et chassent les dernières garnisons chinoises.

Entre temps, la coalition doit faire face à de nouveaux troubles dans les provinces toujours turbulentes du Sud. Au Hunan, une ligue de seigneurs de guerre locaux, financée par des partisans de la clique déchue d’Anhwei, parvient à chasser les représentant de la Clique du Chihli. En juillet 1921, les rebelles franchissent une nouvelle étape en envahissant la province du Hupei. En août, ils s’emparent de Wuchang. Dans l’urgence, on y dépêche Wu Pei Fu et sa 3e division. Encore une fois le « poète » agit sans tarder. Concentrant rapidement ses unités par trains à partir de Loyang, il fonce vers Yochow, port fluvial où le lac Tungting se déverse dans le Yangtze. Simultanément, il envoie une flottille navale remonter le fleuve jusqu’à Wuhan où se sont concentrées les forces rebelles. Encerclées dans la poche ainsi créée, elles se font durement étriller.

Wu Pei Fu est ensuite dirigé vers un autre front ; la province du Shensi où les troupes de la Clique du Chihli s’empressent de la débarrasser des unités résiduelles de l’Anhwei. Mais la résistance y est plus forte que prévue car chaque adversaire tente de s’approprier la récolte d’opium en cours. Il est obligé d’engager en renfort les 7e et 20e divisions ainsi que la 16e brigade mixte. Celle-ci est sous les ordres d’une étoile montante, Feng Yu Hsiang, surnommé le « général chrétien » depuis sa récente conversion. Il décide d’ailleurs de convertir toute sa brigade, le baptême s’effectuant au moyen d’une lance à incendie avec de « l’eau bénite ». Il lui inculque ce qu’il considère comme étant les principes de sa nouvelle foi ; entraînement rigoureux, respect et discipline, y compris vis-à-vis de la population civile. A la fin de l’été 1921, les forces de Wu Pei Fu ont encore une nouvelle fois remporté la victoire. Feng Yu Hsiang s’y est particulièrement distingué. En guise de remerciement, sa brigade devient la 11e division. 

Le « maréchal chrétien » Feng Yu Hsiang fut d’abord une des étoiles montantes de la Clique du Chihli avant de le trahir lors de la seconde guerre Chih – Feng en 1924. Source Wikipedia.
 

Autre conséquence du conflit, un autre seigneur de guerre de la Clique d’Anhwei, Li Hou Chi du Fukien, maintenant sans fief, tenta de se refaire en s’alliant à Chen Chiung Ming, le Tuchün réformiste proche du KMT. Il lui apporta les subsides nécessaires pour financer une nouvelle campagne pour le restaurer sur ses terres et aider son nouvel allié à envahir la province voisine du Kwangtung. Celui-ci entra en campagne avec une dizaine de milliers d’hommes en août 1920 et à l’automne avait conquis toute la province et repoussé son gouverneur, Lu Jung Ting, vers le Kwangsi. Il s’y retrancha et s’allia avec le gouverneur du Yunnan, Tang Chi Yao, dans ce qui allait devenir la Clique du Kwangsi. Entre temps, Chen Chiung Ming avait consolidé l’enclave nationaliste du KMT à Canton. Entre contrepartie, Sun Yat Sen l’avait élevé au rang de Ministre de la Guerre et de l’intérieur de son gouvernement. Il le pressait aussi de lancer sans tarder ce qu’il appela de ses vœux, « l’expédition du Nord », une campagne visant à abattre le gouvernement de pékin et enfin réunifier la Chine. De façon irréaliste, compte tenu des rapports de forces, le leader du KMT espérait que son avancée serait accueillie à bras ouverts par la population et que les troupes des différents seigneurs de guerre se rallieraient ou bien déserteraient. Prudent, Chen Chiung Ming n’en fit rien dans ce sens, préférant consolider son pouvoir en lançant au contraire une nouvelle campagne au Sud, contre le Kwangsi. En juin 1921, il s’empara de Wuchow, porte d’entrée de cette province sur le Fleuve de l’ouest. Il occupa le reste du Kwangsi durant l’été, préférant attendre pour voir quel vainqueur surgira des évènements en train de se dérouler au Nord.

La première guerre Chih - Feng (1922)

Du nom du conflit qui opposa la Clique du Chihli à celle du Fengtien. En effet, la fragile coalition mise en place depuis la chute de Tuan Chi Jui se fissurait de plus en plus. A la tête du gouvernement de coalition se trouvait une personnalité neutre et sans pouvoir, Chin Yun Peng. Il avait appartenu à la Clique de l’Anhwei, était apparenté à Chang Tso Lin par mariage, et avait été dans l’armée le supérieur hiérarchique de Wu Pei Fu. Il satisfaisait aussi parfaitement les puissances étrangères qui reconnurent son gouvernement comme étant celui de toute la Chine. Mais les ambitions des chefs de chacune des Cliques allaient mettre fin à cette paix précaire. Chang Tso Lin accusait maintenant ouvertement son rival, Tsao Kun, d’être à la fois à la solde des Anglo-saxons et en même temps de s’être compromis avec les gens du KMT ! De son côté, il était de notoriété publique qu’il était à la solde de Tokyo dont l’emprise par son entremise sur la Mandchourie et la Mongolie intérieure ne cessait de croître. Le colonel Kenji Doihara, officier de renseignement attaché à l’ambassade japonaise de Pékin, surnommé le « Lawrence de Mandchourie », allait de plus en plus œuvrer pour armer les forces de la Clique du Fengtien. 
 

Carte 4: Principales factions lors de la 1e Guerre Chih - Feng en 1922. Edward, L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
 

Chang Tso Lin agit le premier et manœuvra pour faire remplacer le chef de gouvernement par un homme de son sérail. Qui plus est, il avait l’appui des gouverneurs des banques de Chine et des Communications. Il promu une amnistie aux fidèles de l’ancienne Clique de l’Anhwei et s’allia même avec Chang Sun, celui qui tenta de restaurer la dynastie mandchoue en 1917. En parallèle, connaissant les craintes de Sun Yat Sen vis-à-vis de la Clique du Chihli, il lui tendit la main. C’est avec cette étrange coalition qu’il choisit l’affrontement en visant principalement Wu Pei Fu chez ses ennemis. Au sein même de la Clique du Chihli, Tso Kun gardait un positionnement ambigu quand le nouveau ministère suspendit le budget pour les troupes de son subordonné Wu Pei Fu en janvier 1922. A priori, le rapport des forces penchait nettement au détriment de ce dernier.

Pendant encore deux mois, des émissaires firent la navette entre la QG de Chang Tso Lin à Mukden et celui de Tsao Kun à Paoting, gardé par une garde prétorienne de 10 000 hommes. Entre temps, Chang Tso Lin avait réuni à Tientsin tous les conjurés pour y établir les plans opérationnels. Le but de la manœuvre était d’isoler Wu Pei Fu dans le Hunan et le Hupei en escomptant que les autres leaders de la Clique du Chihli l’abandonneraient. Puis, Chang Tso Lin attaquerait par le Nord ; la tenaille Sud serait fournie par une coalition hétéroclite d’unités du KMT et de deux anciens généraux de l’Anhwei revenus en grâce, Lu Yung Hsiang du Chekiang et Li Hou Chi du Fukien. Une fois le « poète » éliminé, un nouveau gouvernement unifié sera proclamé avec Sun Yat Sen comme Président !
 Récolte de l’opium en Mandchourie. La drogue était une source de revenue majeure pour les différents seigneurs de guerre. Un des principaux marchés était l’Indochine où elle était légalement vendue par la régie des douanes françaises. Source Wikipédia.
 

Le 22 mars 1922, les forces de Chang Tso Lin débutaient leurs concentrations en quittant la Mandchourie via la passe de Shanhaikuan. Mais immédiatement, la coalition s’effondra ! Les 1e et 2e flottilles de la Marine qui devaient couper les lignes de ravitaillement de Wu Pei Fu au Sud annoncèrent leur ralliement à ce dernier. Chen Chiung Ming rompit avec Sun Yat Sen qui se retrouva ainsi pratiquement sans troupes. Les ex-généraux de la Clique de l’Anhwei se rétractèrent. Pire, les Japonais firent savoir au « vieux maréchal » Mandchou qu’ils s’opposaient à son alliance avec le KMT et de ce fait suspendaient leur aide.

C’est donc seul que Chang Tso Lin alla affronter Wu Pei Fu qui avait aussi très bien manœuvré en coulisse pour retourner les alliances. Ce dernier remonta à toute vitesse la ligne de chemin de fer Pékin - Hankow, en amenant au passage les troupes de Tso Kun concentrées à Paoting. Venant du Shensi, il y avait aussi l’excellente division du « général chrétien » Feng Yu Hsiang. En tout, le « poète » rassembla quelques 64 000 hommes, dont 25 000 ex-bandits indisciplinés du général Chao Ti du Honan. En face, Chang Tso Lin alignait 84 000 hommes mieux dotés en armements lourds avec six divisions déployées au sud de Pékin et trois autres en réserve dans la ville même.

Encore une fois, Wu Pei Fu allait frapper fort et vite. Ses forces se concentrèrent d’abord près du pont Marco Polo (Lukouchiao), le 28 avril. Il lança des assauts frontaux, sa 3e division en tête, afin de fixer les forces ennemies. Chaque camp utilisa massivement l’artillerie. Puis, dans un mouvement tournant, il engagea une des brigades du « général chrétien », dans la nuit du 3 au 4 mai, contre l’aile droite ennemie constituée des 16e et 27e divisions à Changhsintien. Surprise, la première se débande, subissant de nombreuses pertes sous les tirs de mitrailleuses ennemies. La 27e division, isolée, se replie aussi. A l’aube, les forces du « poète » enfonce le front ennemi et pénètre dans Pékin. Les trois divisions mandchoues gardées en réserve négocient leur neutralité et évacuation. Chang Tso Lin tente en vain de rallier ses unités à la gare de Luanchow. Aux soldats, il offre une prime de 10 dollars chinois, sachant que leur solde mensuelle est de 4,20 dollars ! Mais rien n’y fait, le moral n’y est plus et ils veulent absolument rentrer chez eux en Mandchourie. Mais Wu Pei Fu connaît aussi des difficultés lorsque ses ex-bandits du Honan se mutinent pour s’adonner aux pillages. Il n’a plus assez de forces pour initier la poursuite. Chang Tso Lin lui a échappé !


Illustration 11 : le général Yen Hsi Shan, surnommé le « gouverneur modèle », administra la province du Shansi comme un état autonome jusqu’en 1949. Source Wikipedia.
 

Feng Yu Hsiang est dépêché dans le Honan pour rétablir l’ordre et s’empare de Kaifeng, la capitale régionale. De fait, il en devient le gouverneur et s’entête à convertir des bandits désarmés en « bon soldats chrétiens ». A l’autonome 1922, la victoire de la Clique du Chihli est sans conteste mais les pertes, plus de 20 000 hommes dans les deux camps, ont été lourdes. Qui plus est la Chine reste plus divisée que jamais. Prudent, Tsao Kun réunit à nouveau le parlement de 1913, le dernier élu démocratiquement. Il demande aussi à Li Yuan Hung, dernier président à succéder constitutionnellement à la mort de Yuan Shi Kai de reprendre son poste. Mais en réalité, il continue de tirer les ficelles en coulisse. En tout cas, les puissances étrangères s’en contentent et le reconnaissent, ne voulant absolument pas d’un Sun Yat Sen qui vient en plus de perdre le pouvoir à Canton.

En effet, après la défection du plus gros de ses troupes sous les ordres de Chen Chiung Ming, il ne lui reste que 10 000 hommes demeurés fidèles. Il tente de négocier avec son ancien Ministre de la Guerre mais ce dernier l’encercle dans son palais présidentiel. Il parvient à s’échapper et trouve refuge sur le croiseur Hai Chi, avant de transférer son QG sur la canonnière Yung Feng de la 1e flottille. Les bâtiments ouvrent le feu sur Canton en tentant de déloger en vain les troupes fidèles à Chen Chiung Ming. Les combats inquiètent les puissances étrangères qui craignent pour leurs ressortissants. Les marins l’abandonnent à son tour et négocient le départ de la flotte pour Tsingtao, sous le contrôle de Wu Pei Fu. Sun Yat Sen s’échappe une fois de plus, à bord d’un navire britannique, et va négocier une aide auprès de seigneurs de guerre du Yunnan (Chu Pei Te) et du Kwangtung (Li Fu Lin et Hsu Chung Chih). Les coalisés reprennent pied dans le Kwangsi, avec l’aide du général Wang Yung Chuan, un ancien de la Clique de l’Anhwei. Le 12 octobre 1922, ils poussent jusqu’à Foochow dans le Fukien.

Attaqué par Hsu Chung Chih par l’est et Chu Pei Te par l’ouest, Chen Chiung Ming est obligé d’évacuer Canton en janvier 1923. Il se replie d’abord sur Huichow, puis se rétablit dans la partie orientale du Kwangton, tenant un front littoral qui s’étend jusqu’à Swatow. Sun Yat Sen reconquiert à nouveau Canton en mars 1923 d’où il proclame la restauration du gouvernement révolutionnaire du KMT. Il fait néanmoins transférer son siège dans une enceinte fortifiée sur une petite île au milieu de la Rivière des Perles. Déçu, fatigué, le vieil révolutionnaire doute de l’emporter, étant à chaque fois trahi par des chefs de guerres qui ont leurs propres agendas. Il réalise enfin que s’il doit l’emporter, ce ne sera que par la force des armes tout en renforçant les structures de son parti. Et surtout qu’il doit avoir une armée à lui, encadrée par des officiers convaincus de la cause révolutionnaire qu’ils défendent. A cet effet, il va créer l’académie militaire de Whampao en 1924, véritable pépinière d’où sortiront les cadres qui vont enfin réunifier la Chine.

La deuxième guerre Chih - Feng (1924)

Il apparut vite que la trêve dans le Nord n’était que provisoire, les Cliques du Fengtien et du Chihli fourbissant leurs armes pour le prochain round. Tout d’abord, le chef de cette dernière, Tsao Kun, avait par la menace et la corruption, forcé le parlement légitime tout juste réinstallé à faire abdiquer en sa faveur, en octobre 1923, le vieux Président Li Yuan Hung. Ce véritable coup d’état institutionnel provoqua l’indignation de l’opinion publique, même dans un pays dépecé par les seigneurs de guerre, et de nombreuses manifestations éclatèrent dans les grandes villes de Chine. La défiance régnait aussi au sein de la Clique du Chihli car Tsao Kun voyait d’un mauvais œil l’ascendant qu’avait pris Wu Pei Fu. Il favorisa donc ses proches ainsi que Feng Yu Hsiang, promu maréchal et inspecteur des armées. Ce dernier avait positionné près de Pékin une division et trois brigades, superbement entraînées et disciplinées, toujours selon ses préceptes « chrétiens ».

Carte 5: Principales factions lors de la 2e Guerre Chih - Feng en 1922. Edward, L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
 

Entre temps son rival Wu Pei Fu s’était lancé dans une nouvelle campagne dans le Sud afin d’éliminer ce qui restait de forces résiduelles de l’ancienne Clique de l’Anhwei dans les provinces du Chekiang et du Fukien. Celles-ci pouvaient représenter un danger car d’après ses renseignements, elles étaient financées par Chang Tso Lin. Elles risquaient aussi de tendre la main à Sun Yat Sen et renforcer ainsi le KMT. D’autre part, le dernier Tuchün encore d’importance se réclamant de la Clique d’Anhwei, Lu Yung Chüan, tenait Shanghai, place financière du pays, avec ses concessions internationales ainsi que son arsenal. En août 1924, les forces de la Clique du Chihli passèrent à l’action, conquérant Foochow. Des combats éclatèrent aussi pour le contrôle de la voie de chemin de fer entre Shanghai et Nankin. Par une série de manœuvres hardies, le « poète » emporta une nouvelle fois la décision. Mais les combats pour Shanghai ont amené les concessions étrangères à déployer des renforts militaires pour protéger leurs enclaves. Français, Américains et Britanniques renforcent aussi les patrouilles de leurs canonnières pour assurer le libre passage sur le Yangze.

Chang Tso Lin de son côté réorganisait ses forces en Mandchourie. Le « vieux maréchal » tira les leçons des précédents combats. Ses troupes, pourtant mieux équipées, ont subi de lourdes pertes. Le cœur de son armée en 1922 était constitué par les 1e, 16e, 27e, 28e et 29e divisions. Les 16e et 28e ont été complètement anéanties et les autres sont encore en cours de reconstitution. La conscription porta ses effectifs à plus de 200 000 hommes, regroupés en 27 nouvelles brigades mixtes et 5 brigades de cavalerie, tactiquement plus mobiles. Les trois divisions servant de réserve pour exploitation. La dotation en artillerie est augmentée alors que deux compagnies de chars sur Renault FT-17 sont mises sur pied. Son aviation est enfin employée de façon rationnelle. Surtout, elle possède une quarantaine de bombardiers légers Bréguet 14 entraînés pour l’attaque au sol. Il procède aussi à une réorganisation en profondeur du corps des officiers. Les postes de commandants d’unités, jusqu’à présent aux mains de ses anciens compagnons de jeunesse et de brigandage, sont confiés à des professionnels, jeunes officiers diplômés de l’académie militaire de Mukden ou encore formés au Japon. 
 

Illustration 12 : Le « vieux maréchal » Chang Tso Lin, au premier plan, de la Clique du Fengtien.était le maître incontesté de la Mandchourie. Source Wikipedia.
 

Tokyo continue de le soutenir mais la méfiance est réciproque entre les deux partenaires. Les Japonais veulent simplement qu’il se contente de tenir la Mandchourie où ils ont beaucoup investi, notamment la construction d’un nouveau port moderne à Hulutao qui vient juste de démarrer. Chang Tso Lin espère de son côté reprendre Pékin.

Alors que les escarmouches se multiplient à la frontière mandchoue, c’est Tsao Kun qui agit le premier en tentant d’acheter plusieurs généraux de Chang Tso Lin. Un seul, Kao Shi Pin, se mutina en juin 1922 mais la révolte fut vite écrasée. Un nouveau motif de discorde fut l’asile accordé à Lu Yung Chüan et à ses troupes après leur évacuation de Shanghai. Chacun des adversaires rêvaient d’en découdre, surtout Wu Pei Fu qui avait été publiquement humilié par Chang Tso Lin à plusieurs reprises.

Le « poète » rêvait de prendre sa revanche, confiant en ses forces (250 000 hommes) et en ses capacités de général. Il planifia l’invasion de la Mandchourie sur trois directions principales ; par la passe de Shanhaikuan avec la 1e armée de Peng Shou Hsin ; par Hsifengkou avec la 2e armée de Wang Huai Ching ; à travers le Jehol avec la 3e armée du « maréchal chrétien ». L’offensive débuta début septembre 1924, les combats les plus acharnés ayant lieu à la passe de Shanhaikuan où le gros des forces de la Clique du Fengtien avait été concentré. Sur un terrain difficile, les assaillants avaient du mal à se déployer, chaque point haut devait être conquis de haute lutte. Chaque pénétration était contre attaquée par des brigades maintenues en réserve. Wu Pei Fu prit alors en personne le commandement de ce front mais à la mi-octobre il doit se résigner à marquer une pause à cause de ses problèmes de logistique. Les adversaires s’enterrèrent sur place et le combat dégénéra en duels d’artillerie.

Illustration 13 : Soldats de la Clique du Fengtien, au cours de la seconde guerre Chih – Feng en 1924. Sources Phillip, Jowett ; Andrew, Stephen, Chinese Civil War Armies 1911-1949, Osprey, Oxford 1997.
 

La 2e armée avait tout d’abord connu une avance rapide avant de se heurter à une résistance plus vive des Mandchous. Mais c’est la 3e armée qui marquait le plus le pas. Ses avants gardes n’atteignirent Luanping dans le Jehol que le 24 septembre. Le gros de ses divisions était encore à Kupeikou, avec une réserve maintenue à Miyun. Un groupement de 10 000 hommes était encore stationné juste à la sortie nord de Pékin, en cours « d’entraînement ». Lorsque Wu Pei Fu exhorta Feng Yu Hsiang d’accélérer son rythme de progression, ce dernier lui répondit qu’il avait des difficultés logistiques. Il accusa même le commandant en chef de ne lui pas avoir alloué les munitions d’artillerie nécessaires.

En réalité, le très moraliste « maréchal chrétien » était en train de négocier avec l’ennemi. Les tractations se firent par l’intermédiaire de l’ancien patron de la Clique d’Anhwei, Tuan Chi Jui, à Tientsin. Il fit monter les enchères en marchandant sa trahison. Il semblerait que Chang Tso Lin déboursa près de 10 millions de dollars américains, grâce aux subsides japonais. Le 20 octobre, Feng Yu Hsiang décida d’agir. Tout d’abord, il isola Pékin en dépêchant une de ses brigades couper la ligne de chemin de fer au sud de la ville, à Changsintsien. Une autre de ses divisons prit Luanchow, coupant la voie ferrée Tientsin – Shanhaikuan. Un autre détachement venant du Shensi s’empara aussi du nœud ferroviaire de Shichiachuang, coupant l’axe ferré Nord – Sud de Pékin à Hankow. Ainsi des renforts en provenance des provinces du Sud ne pourraient arriver à temps. Rompant le contact sur la ligne de front, Feng Yu Hsiang ramena le gros de son armée vers la capitale. Il força Tsao Kun à abdiquer et lança une proclamation demandant un cessez-le feu et l’ouverture de négociations entre les différentes factions. La 2e armée se rallia aux mutins. Le coup d’état prit Wu Pei Fu complètement par surprise. Menacé sur ses arrières, incapable de faire appel à des réserves, ses unités de premières lignes commençaient à flancher devant une offensive généralisée déclenchée par Chang Tso Lin. Au bout de 48 heures les forces mandchoues reprirent la passe de Shanhaikuan. Dans la débâcle, Wu Pei Fu parvint à embarquer avec quelques milliers d’hommes sur des navires militaires à Tientsin. Ne pouvant débarquer au Shantung dont le gouverneur était en train de négocier son changement d’alliance et après moult péripéties, le « poète » et ses partisans parvinrent finalement à rallier leurs bases arrières, à cheval sur les provinces du Honan et du Hupei. En un mois, les affrontements ont causés au total quelques 30 000 victimes.


Illustration 14 : Chars Renault FT17 de la Clique du Fengtien. Les blindés ont été acquis auprès du corps expéditionnaire français de Sibérie. Source Wikipedia.


Feng Yu Hsiang commença par rappeler ses virtus républicaines en ordonnant l’expulsion du jeune empereur Pu Yi et de sa cour de la Citée Interdite, abrogeant de fait le traité de 1912 qui l’y autorisait. Trouvant refuge à Tientsin, ce dernier sera rapidement pris en charge financièrement par les services japonais qui plus tard l’introniseront à la tête de l’état fantoche du Mandchoukouo. Une nouvelle coalition fragile fut mise en place, avec une délimitation des zones d’influences. L’ancien leader de la Clique de l’Anhwei, Tuan Chi Jui, fut nommé Premier Ministre. Son gouvernement fut officiellement reconnu par les puissances étrangères, le 9 décembre 1924, à la condition qu’il ne remette pas en cause les traités existants signés avec elles. Clairement, Chang Tso Lin  était le grand vainqueur du conflit. Il partageait désormais le pouvoir dans la Chine du Nord avec Feng Yu Hsiang. Les troupes mandchoues campaient dans la capitale et occupaient les provinces du Chihli et du Shangtung où elles réprimèrent dans le sang une grève des ouvriers des usines de Tsingtao. Le « vieux maréchal » tenta ensuite d’étendre l’influence mandchoue aux provinces de la vallée du Yangtze. Il y dépêcha un de ses généraux, Chang Tsung Chang, soutenir un autre de ses officiers, Yang Yu Ting. Durant l’été 1925, ils battirent le seigneur de guerre Sun Chuan Fang, demeuré fidèle à la Clique du Chihli. Ce dernier fut chassé de Shanghai et se replia sur Hsuchow.

Feng Yu Hsiang récupéra de son côté le gros de l’armée de la Clique déchue du Chihli. Afin de symboliser la rupture, ses forces furent rebaptisées comme étant la « 1e Armée Nationale » ou Kuominchûn. Directement sous ses ordres se trouvaient aussi les 2e et 3e armées, sous les commandements de deux vassaux ; Hu Ching Yi et Sun Yueh. Le « maréchal chrétien » s’appropria l’administration directe des provinces du Jehol, Chahar et Suiyuan au titre d’inspecteur général de la défense des provinces du nord-ouest. Désormais, il avait sa propre Clique.
Plus que jamais la scène politique chinoise était fragmentée, divisée en Cliques militaires rivales, livrée aux exactions de bandits de tout poil. Aucun seigneur de guerre n’avait réussi à devenir le nouvel hégémon et ramener la paix « sous le ciel ». Le 12 mars 1925, Sun Yat Sen décédait sans voir son rêve d’une Chine unifiée et démocratique se réaliser. Pourtant, dans une étrange alliance contre nature, regroupant nationalistes du KMT et communistes, une nouvelle ère de violences et de révolutions allait en sortir pour la domination du pays le plus peuplé au monde.



Remerciements

L’auteur tient particulièrement à remercier Stéphane Soulard pour sa relecture commentée du texte. Sa grande érudition sur la période et sa connaissance du Chinois m’ont permis d’éviter plusieurs écueils.



Bibliographie indicative

Angus, Konstam, Yangtze River Gunboats 1900-1949, New Vanguard Series, Osprey, Oxford 2011.

Anthony, B Chan, Arming the Chinese, The Western Armaments Trade in Warlord China, 1920-1928, University of British Colombia Press, Vancouver 1982.

Bodin, E Lynn ; Warner, Chris, The Boxer Rebellion, Osprey, Oxford 1979.

Diana, Lary, Warlord Soldiers: Chinese Common Soldiers 1911-1937, Cambridge University Press, Cambridge 2010.

Donald, Sutton, Provincial Militarism and the Chinese Republic: The Yunnan Army 1905-1925, The University of Michigan Press, Ann Arbor, MI 1980.

Edward, L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.

Edwin, Pak Wah Leung, Historical Dictionary of the Chinese Civil War, Scarecrow Press, Lanham MD 2003.

Francis, F Liu, A military History of Modern China 1924-1949, Princeton University Press, Princeton University Press, 1956.

George, F Nafziger, The Growth and Organization of the Chinese Army 1895 – 1945, The Nafziger Collection, Inc, West Chester (UK) 1999.

Hervé, Barbier, Les canonnières françaises du Yang Tsé 1900 – 1941, Les Indes Savantes, Paris 2004.

Ian, Heath ; Perry, Michael, The Taiping Rebellion 1851-1866, Osprey, Oxford 1994.

Ian, Heath, Armies of Nineteenth Century: Asia, Volume 2 - China, Foundry Books, Guernsey (UK) 1998.

Jean, Mabire, l’été rouge de Pékin, la révolte des Boxeurs, Editions du Rocher, Monaco 2006.

John, K Fairbank, The Cambridge History of China, Volume 10: Late Ch’ing 1800 -1911, Cambridge University Press, Cambridge 1986.

John, K Fairbank, The Cambridge History of China, Volume 12: Republican China 1912-1949, Cambridge University Press, Cambridge 1983.

John, K Fairbank, The Cambridge History of China, Volume 13: Republican China 1912-1949, Cambridge University Press, Cambridge 1986.

Peter, Harrington, Peking 1900, The Boxer Rebellion, Campaign Series, Osprey, Oxford 2001.

Phillip, Jowett ; Andrew, Stephen, Chinese Civil War Armies 1911-1949, Osprey, Oxford 1997.

Phillip, Jowett, Soldiers of the White Sun, The Chinese Army at War 1931 – 1949, Schiffer Publishing, Atglen 2011.

Pu Yu, Hu, A Brief History of the Chinese National Revolutionary Forces, Chung Wu Publishing Company, Taipei 1971.

Richard, N J Wright, The Chinese Steam Navy 1862-1945, Chatham Publishing, London 1988.

Xu, Guangqiu, War Wings, The United States and Chinese Military Aviation, 1929 – 1949, Greenwood Press, London 2001.








Annexes :

















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire