lundi 10 mars 2014

Anatomie d'un coup d'État raté: Hitler et le putsch de la brasserie

Les 8 et 9 novembre 1923, Adolf Hitler et le jeune parti nazi dirigent une coalition de groupes nationalistes qui tente un coup d’État qui entre dans l'histoire sous le nom de putsch de la brasserie. Il débute en effet dans la Bürgerbräukeller, une des plus grandes brasseries de Munich, avec l'espoir de prendre le pouvoir en Bavière pour ensuite marcher sur Berlin et renverser la République de Weimar. Le putsch échoue finalement et les autorités bavaroises parviennent à faire condamner 9 de ses responsables. Cet événement qui aurait pu passer largement inaperçu dans l'histoire, fort mouvementée, de l'Allemagne d'après-guerre va néanmoins devenir, après 1933, une geste héroïque pour le mouvement nazi et faire partie intégrante de la mythologie qui entoure la course au pouvoir menée par Hitler.

David FRANCOIS



1923, l'Allemagne au bord du gouffre.
Les quatre années qui suivent la défaite de novembre 1918 sont celles du chaos pour l'Allemagne. Un chaos national d'abord avec l'imposition du traité de Versailles en juin 1919 qui est ressenti par une grande partie de la population comme une humiliation et une injustice. Un chaos social ensuite provoqué par la crise économique qui entraîne chômage, inflation et misère et dont l'apogée se situe en 1923. Ces deux traumatismes se rejoignent en 1923 avec l'occupation de la Ruhr.

En avril 1921, la France et la Grande-Bretagne exigent à l'Allemagne, au titre des réparations de guerre, environ 33 millions de dollars, causant ainsi une inflation croissante dans le pays. Le gouvernement allemand demande alors de pouvoir différer les payements aux Alliés ce que refuse la France. Quand l'Allemagne menace finalement, à la fin de 1922, de faire défaut, le président du Conseil français, Raymond Poincaré, fait alors occuper le bassin minier de la Ruhr par l'armée aggravant ainsi la crise allemande. L'inflation repart en effet de plus belle. En janvier 1923, un dollar vaut 18 000 marks, puis en juillet 160 000, en août un million et en novembre 4 milliards de marks. Les Allemands sont alors payés avec une monnaie qui se déprécie de jour en jour, les produits de base coûtent des millions tandis que des émeutes de la faim éclatent dans le pays.

Dans ce climat d'instabilité les mouvements politiques de gauche et de droite développent des structures paramilitaires qui recrutent des anciens combattants, des chômeurs et des jeunes en quête d'action. Ces formations ont principalement pour objectif à renverser une démocratie fragile, rendue responsable de tous les maux qui accablent la population. Pourtant au début de 1923, les Allemands font confiance dans un gouvernement qui organise la défense passive face aux Français dans la Ruhr. Mais en septembre, les autorités du Reich se voient contraintes d'accepter la reprise du payement des réparations. Cette décision provoque un fort ressentiment dans la population, incitant les groupes politiques extrémistes à passer à l'action, ce qui ne fait qu’accroître le chaos qui règne alors en Allemagne.



La Bavière en effervescence.
Alors que le gouvernement central craint que la Thuringe et la Saxe ne tombent entre les mains des communistes, la Bavière est devenu, depuis l'écrasement de la République des Conseils à Munich par les corps francs, un refuge pour les groupes nationalistes. Parmi ceux-ci, le parti nazi est le plus nombreux avec 55 000 adhérents et surtout il est le mieux organisé. Adolf Hitler en a pris le contrôle en juillet 1921 et a réussi à le faire prospérer. Depuis 1920, il possède même une aile paramilitaire commandée par Ernst Röhm, les Sections d'Assaut (SA). Hitler parvient également à étendre considérablement le champ d'influence de son mouvement. Il rallie à lui Hermann Göring, un des as de l'aviation allemande pendant la Grande Guerre, qui devient d'ailleurs le chef de la SA en 1922, mais également des hommes d'affaires comme Ernst Hanfstaengl qui finance le mouvement. Il a surtout fait la connaissance d'un diplomate, Max von Scheubner-Richer, un homme qui a de multiples connexions dans les milieux politiques et militaires mais aussi parmi les Russes blancs. En 1921 Hitler est même reçu, grâce à son secrétaire Rudolf Hess, par le général Erich Ludendorff, le héros allemand de la Première Guerre mondiale.

Hitler et ses fidèles en 1923 (source: wikipedia.org)


Pour les militants nazis et les différents groupes de la mouvance völkisch il ne fait aucun doute à l'automne 1923 que le temps est désormais venu de frapper à mort la République de Weimar. Hitler, poussé par cette base impatiente, sait qu'il doit agir s'il ne veut pas prendre le risque de perdre la direction du mouvement. Il s'inspire également de la Marche sur Rome qui a permis aux fascistes italiens de prendre le pouvoir en octobre 1922 et planifie donc une marche sur Berlin qui doit lui permettre de prendre le contrôle du gouvernement national. Il espère même pouvoir compter sur le soutien des autorités bavaroises. En effet les membres du gouvernement de la Bavière veulent un changement de la politique nationale et protestent contre la décision de Berlin de mettre fin à la résistance passive dans la Ruhr et la Rhénanie occupées.

Le 2 septembre 1923, en compagnie de Ludendorff, Hitler assiste à un défilé de 100 000 hommes issus de différentes formations paramilitaires de droite comme la Reichsflagge, la SA ou le Bund Oberland et qui se fédèrent dans le Deutscher Kampfbund sous la direction politique d'Hitler. Les rumeurs de marche sur Berlin ne cessent alors d'enfler à Munich tandis que le général von Seeckt, le chef de la Reichswehr, prévient Stresemann qu'il ne fera rien en cas d'action contre Berlin de la part de l'armée bavaroise.

Pour éviter que la situation ne dégénère le premier ministre bavarois, Eugen von Knilling, nomme le 26 septembre, Gustav von Kahr commissaire général. Ce dernier forme alors un triumvirat avec le chef de l'armée en Bavière, Otto von Lossow, et le chef de la police Hans Ritter von Seisser. Kahr se fait rapidement le champion de la fronde nationaliste face à Berlin. Il négocie avec les organisations nationalistes de Berlin tandis que Lossow rencontre Hitler. Ce dernier lui expose alors son projet de former un directoire dont le triumvirat ferait partie avec Ludendorff. Mais ces discussions n'aboutissent pas et le 6 novembre, le triumvirat fait savoir au Kampfbund qu'il fera tout pour éviter un putsch nationaliste.

Si le triumvirat appelle publiquement à une marche nationaliste sur Berlin, il espère néanmoins que les militaires et les civils à Berlin renverseront eux-mêmes la République afin d'établir un régime autoritaire. Cela permettrait aux Bavarois de cueillir les fruits de la victoire sans prendre de risques et de maintenir l'autonomie de leur région. Il est donc de plus en plus évident pour Hitler qu'il ne souhaite pas passer à l'action de leur propre initiative.

Fort de l'appui de Ludendorff, Hitler décide de se lancer dans un coup de force pour le jour anniversaire de la naissance de la République, le 9 novembre. Le 7, il réunit donc ses principaux lieutenants et soutiens dont Ludendorff, Göring et Scheubner-Richter pour mettre l'opération au point. Il prévoit ainsi de s'emparer des principales villes de la Bavière comme Ratisbonne, Augsbourg et Nuremberg mais surtout de Munich où les troupes du Kampfbund doivent s'emparer des principaux points stratégiques: gares, télégraphes, téléphones, bâtiments de l'administration civile et de l'armée. Il estime pouvoir compter pour cela sur 4 000 hommes qui feront face à 2 600 policiers et militaires.

Mais Hitler se méfie de von Kahr en qui il voit un potentiel rival et son plan vise aussi à obliger par la force les chefs du gouvernement bavarois à l'accepter comme chef suprême. Puis, avec l'aide du général Erich Ludendorff, il pourra prendre la tête d'une révolution nationaliste pour renverser le gouvernement de Berlin.



Le putsch commence.
Le soir du 8 novembre 1923, Kahr, Lossow et Seisser se retrouvent à la Bürgerbräukeller pour parler devant un public d'environ 3 000 personnes composé de responsables de l'administration et de notables de la ville. Vers 20 heures 30 un détachement des gardes du corps d'Hitler, la Stosstrupp Adolf Hitler, arrive à la Bürgerbräukeller pour rejoindre les troupes des Sections d'Assaut (SA) qui se préparent à investir la brasserie. Hitler, accompagné d'Hermann Göring fait irruption dans la grande salle de la brasserie avec ses hommes qui lui frayent un passage dans la foule pour rejoindre la scène. Une mitrailleuse est mise en batterie à l'entrée ce qui provoque un certain tumulte.

Hitler tire alors un coup de feu dans le plafond pour ramener le calme et s'adresser à une assistance tétanisée. Il annonce que la révolution nationale a commencé mais également que personne ne doit sortir de la brasserie et que pour cela il est prêt à faire installer une mitrailleuse dans une galerie qui surplombe salle. Il ajoute que les gouvernements de Bavière et du Reich sont déposés au profit d'un gouvernement national provisoire. Il termine enfin en affirmant que les bâtiments de la Reichswehr et de la police sont occupés tandis que les policiers et les militaires parcourent Munich sous le drapeau à croix gammée. Bien entendu rien n'est vrai dans tout cela mais il cherche ainsi à impressionner les membres du triumvirat.

Les sections d'assaut (source: wikipedia.org)


Ensuite Hitler réunit les trois triumvirs dans une petite salle où il leur demande de se joindre à lui, de soutenir sa révolution nazie et les assure qu'ils auront une place dans le nouveau gouvernement. Mais à sa surprise les trois hommes refusent de lui parler. Il sort alors son pistolet et prévient qu'il contient 4 balles, 3 pour les membres du triumvirat et la dernière pour lui. Mais la menace ne fait pas son effet. Soudain, Hitler a l'idée de rejoindre le public dans la grande salle pour annoncer que le gouvernement et le président du Reich sont déchus, qu'un gouvernement national va être formé à Munich pour marcher ensuite sur Berlin avec le soutien de l'armée. Cette ruse permet de faire croire que les membres du triumvirat, toujours retenus dans une salle séparée, ont rejoint Hitler et les nazis.

Mais les hommes du triumvirat se montrent toujours hésitants et cherchent à gagner du temps. La discussion n'avance pas. Heinz Pernet, Johann Aigner et Scheubner-Richter sont alors dépêchés pour aller chercher Ludendorff, dont le prestige personnel doit permettre de vaincre ces réticences. Pendant ce temps Hermann Kriebel téléphone à Ernst Röhm qui se trouve dans une autre brasserie, la Löwenbräukeller, pour lui ordonner de s'emparer des principaux bâtiments de la ville tandis que Gerhard Rossbach mobilise les élèves d'une école d'infanterie.

Le général Ludendorff arrive enfin à la Bürgerbräukeller. Hitler sait qu'il a plus de chances d'être entendu par les membres du triumvirat que lui. Il presse donc Ludendorff de les convaincre de rejoindre le coup d'État. Ludendorff s'entretient donc avec les trois hommes leur conseillant de rallier la révolution nazie. Ces derniers se laissent finalement convaincre et se rendent alors dans la grande salle pour annoncer publiquement leur ralliement à Hitler et l'assurer de leur loyauté envers le nouveau régime. Le public les acclame et entonne le Deutschland Über Alles. Hitler est euphorique. Son plan se déroule comme prévu et il espère bien devenir rapidement le nouveau chef de l'Allemagne. Dans son enthousiasme Hitler autorise alors l'assistance à se retirer à l'exception d'un groupe d'otages formé par des membres du gouvernement et des chefs de la police sous la garde de Hess.



Une suite d'erreurs fatales.
Rapidement les conjurés vont faire une série d'erreurs cruciales. Le succès de l'opération dépend en effet de leur rapidité à prendre possession des bâtiments administratifs et des centres de communications mais également de l'autorité du triumvirat sur la police et l'armée. A Munich, Wilhelm Frick, le chef de la section politique de la préfecture de police, parvient un temps à paralyser la réaction des policiers tandis que Röhm occupe le quartier général de l'armée mais en oubliant pendant plus d'une heure et demie de neutraliser le central téléphonique permettant ainsi aux militaires de faire venir des renforts de l'extérieur. Les nazis négligent totalement de prendre le contrôle des centres de communications, des gares, des ministères et des casernes qui restent sous le contrôle de l'Etat. Ils manquent totalement de coordination. Ainsi, un bataillon de SA qui a réussi à se procurer des fusils en nombre reste ensuite l'arme aux pieds A environ 3 heures du matin, les premières victimes du putsch tombent, deux hommes de la SA tués lors d'une tentative pour s'emparer de la caserne du 19e régiment d'infanterie. Les nazis sont également repoussés de la caserne du 7e régiment d'infanterie. Seul les élèves de l'école d'infanterie rallient les putschistes.

Les SA dans les rues de Munich durant le putsch (source: wikipedia.org)


Du coté des autorités bavaroises les policiers stationnés vers la Löwenbräukeller envoient dès le début de la soirée à leurs chefs des rapports sur les mouvements des SA. Le major Sigmund von Imhoff de la police d'État met alors en alerte les unités de police et fait occuper le bureau du télégraphe et le central téléphonique. Il informe également de la situation le major-général Jakob Ritter von Danner, le commandant de la Reichswehr de la garnison de Munich qui est fermement déterminé à faire échouer le putsch. Pour cela il installe son poste de commandement dans la caserne du 19e régiment d'infanterie et met en alerte toutes les unités militaires.

L'erreur la plus fatale pour les putschistes est celle que commet Hitler lui-même. Il décide en effet, après le ralliement du triumvirat à son entreprise, de quitter la Bürgerbräukeller pour se rendre auprès de ses hommes et les aider à faire basculer les militaires. Il laisse ainsi le triumvirat sous la garde du général Ludendorff qui les laisse ensuite quitter la brasserie sous le prétexte qu'ils doivent rejoindre leur poste pour assurer le bon fonctionnement du putsch et après avoir promis faussement de rester fidèles à Hitler. Une fois libres, les membres du triumvirat s'empressent de dénoncer la tentative de putsch et ordonnent à la police et à l'armée de la réprimer.

Les nazis occupent Munich (source: wikipedia.org)


Hitler ne parvient pas lui non plus à rallier les soldats qui refusent de le rejoindre et de sortir des casernes. Devant cet échec il décide de retourner à la brasserie. C'est alors qu'il prend conscience du mauvais tour que prend sa tentative. Alors qu'il prévoit de marcher le lendemain sur Berlin, Munich n'est pas encore occupé, seul le siège du ministère de la Guerre est contrôlé par Ernst Röhm et ses hommes.

Dans les premières heures du 9 novembre, les membres du triumvirat, qui ont trouvé refuge dans la caserne du 19e régiment d'infanterie font savoir publiquement que les déclarations extorquées par Hitler sous la menace d'une arme sont nulles. Il ordonne la dissolution du parti nazi et de ses troupes paramilitaires. Von Lossow quant à lui fait venir des troupes en renfort dans la ville. A l'aube l'immeuble du ministère de la Guerre qu'occupe Röhm est cerné.



La fusillade de la Feldherrnalle.
La situation a irrémédiablement tourné. Les conjurés se sont montrés trop désorganisés pour prendre l'avantage pendant le court laps de temps où la confusion a régné parmi les autorités. Hitler passe la nuit du 8 au 9 à ne savoir que faire sur la suite à donner aux événements. L'armée reste loyale au régime et les tentatives de coups de force dans le reste du pays ont échoué. Cette indécision laisse définitivement le temps aux autorités bavaroises d'organiser la riposte contre les putschistes. Au petit matin, Hitler, sans espoir, envoie Max Neunzer demander l'aide du prince Rupprecht de Bavière mais cette tentative échoue.

Le général Ludendorff lui propose alors d'organiser une marche dans la ville pour rallier directement la population à son coup d'État. Il ajoute qu'en raison de son prestige militaire personne n'osera ouvrir le feu sur le cortège. Hitler conduit alors environ 2 000 nazis et membres du Kampfbund dans une marche sur la Feldherrnhalle en direction de la Ludwigsstrasse. Il est entouré par Ludendorff et Göring, tandis que l'un des drapeaux du parti est porté par Heinrich Himmler. Le cortège est majoritairement composé d'hommes de la Stosstruppe, de la SA et de l'organisation Oberland. Des élèves de l'école d'infanterie sont également présents. Quand ils atteignent l'Odeonsplatz prés de la Feldherrnhalle, ils se heurtent à un barrage d'une centaine de policiers. Hitler leur demande alors de se rendre. Une fusillade partant de chaque cotée éclate durant une minute.

L'Odeonsplatz lors du putsch de novembre (source: Bundesarchiv)


Seize nazis et trois policiers sont tués lors de cet échange de coups de feu. Göring est grièvement touché à l'aine mais parvient à prendre la fuite. Hitler est victime d'une luxation de l'épaule quand Scheubner-Richter, qui lui tenait le bras, s'effondre, mortellement touché et l’entraîne avec lui dans sa chute contre le trottoir. Le garde du corps d'Hitler, Ulrich Graf, s'est aussi jeté sur lui, recevant à sa place plusieurs balles et lui sauvant ainsi la vie. Hitler rampe alors sur le trottoir pour rejoindre une voiture qui l'attend et s'enfuir. La troupe nazie est dispersée, certains membres arrêtés. Ludendorff, malgré la fusillade, a continué à marcher tranquillement droit devant lui et parvient à atteindre indemne le barrage de police où il est finalement arrêté.

Pendant ce temps des unités de l'armée venant d'Augsbourg encercle le quartier-général encore tenu par les hommes de Röhm. Ces derniers, en apprenant la fusillade sur la Feldherrnhalle acceptent finalement de se rendre mais en recevant les honneurs militaires. Hitler quant à lui a trouvé refuge dans le grenier de ses amis, les Hanfstaengls, où il parle de se suicider. Il s'attend même à être fusillé par les autorités. Le 11 novembre, la police vient finalement l'arrêter.



Le procès des putschistes.
En février 1924 s'ouvre le procès des chefs du putsch de la brasserie. Les cinq juges du tribunal du peuple de la Bavière ont pour président Georg Neithard qui, dans les cas de haute trahison, se montre généralement clément avec les accusés de droite qui déclarent agir au nom de considérations patriotiques. Portant sa croix de fer obtenu durant la Grande Guerre, Hitler fait du prétoire une tribune d'où il dénonce la République de Weimar qui a trahi l'Allemagne en signant le traité de Versailles il justifie son action en dénonçant l'inéluctabilité d'une insurrection communiste prochaine. Il s'attire ainsi la clémence des juges qui le condamnent pour haute trahison à la peine la plus légère soit 5 ans d'emprisonnement dans la prison à sécurité minimale de Landsberg. Hitler ne fera que seulement 8 mois de détention.

La presse, tant à gauche qu'à droite, critique cette clémence et un éminent professeur de droit publie même un article qui met en avant les vices du procès. Mais le gouvernement bavarois, pourtant lui aussi mécontent du verdict, se refuse à intervenir pour ne pas donner l'impression qu'il cherche à influencer les décisions de la justice bavaroise.

Durant son court séjour en prison, Hitler reçoit un traitement de faveur. Il obtient le droit de porter des vêtements civils, de rencontrer les autres détenus autant qu'il le veut, de recevoir et d'envoyer une volumineuse correspondance. Les autorités de la prison lui donnent même la permission d'utiliser les services de son secrétaire personnel, Rudolf Hess, lui aussi détenu pour haute trahison. Hitler en profite pour lui dicter le premier volume de Mein Kampf.

Hitler à sa sortie de la prison de Landsberg (source: wikipedia.org)




Le putsch dans la mythologie nazie.
De l'échec du putsch de la brasserie Hitler tire la leçon que le mouvement nazi ne peut détruire la République par un assaut direct sans le soutien de l'armée et de la police. Il comprend également que le succès dépend de la capacité du parti nazi à devenir le leader indiscuté du mouvement völkisch et de sa capacité à devenir le chef incontesté des nazis. Finalement l'expérience du putsch lui apprend qu'une tentative de renversement violent du régime de Weimar entraînera une réponse militaire des autorités. Il préfère donc profiter des avantages de la démocratie pour la subvertir de l'intérieur en cherchant à prendre le pouvoir par le biais des élections et en usant de la liberté d'expression et de réunion garantie par cette même démocratie.

A la suite du putsch le gouvernement bavarois et celui du Reich interdisent le parti nazi, ses formations et sa presse. Mais les déclarations d'Hitler sur sa volonté de parvenir au pouvoir légalement parviennent à convaincre les autorités de lever cette interdiction en 1925. La marche vers le pouvoir reprend.

Les nazis cultivent la mémoire du putsch de la brasserie qui prend une dimension mythique dans l'histoire du mouvement. Parmi ceux qui marchèrent vers l'Odeonsplatz le 9 novembre se trouve également des hommes qui occuperont des postes clefs au sein du IIIe Reich: Hermann Göring, Heinrich Himmler, Rudolf Hess, Julius Streicher et Wilhelm Frick. Quatre d'entre eux se trouveront en 1945 sur le banc des accusés au procès de Nuremberg.

Après la prise du pouvoir par Hitler en janvier 1933, l'Allemagne célèbre le 9 novembre comme le Jour du Deuil. Chaque année à Munich des commémorations entretiennent le souvenir du putsch et des victimes nazies qui deviennent des martyrs de la cause. Le Blutorden, la médaille qui est décernée aux vétérans du putsch devient alors la plus haute distinction au sein du parti nazi tandis que le drapeau porté lors du putsch et qui fut taché par le sang d'une des victimes, Andreas Bauriedl, devient la Blutfahne, le drapeau du sang, qui sert à consacrer les autres drapeaux du parti nazi lors des cérémonies organisées par le mouvement. En 1935, Hitler fait construire sur la Königsplatz de Munich deux mausolées où sont inhumées les 16 victimes nazies du putsch tandis qu'une plaque est déposée sur la Feldherrnhalle devant laquelle les passants sont obligés de saluer le bras tendu.

Un des deux mausolées sur la Feldherrenhalle (source Bundesarchiv)


Après la chute du IIIe Reich, en juin 1945, la Commission de contrôle alliée en Allemagne fait enlever les corps des mausolées qui sont dynamités le 9 janvier 1947. Depuis 1994, une plaque commémorative sur le trottoir en face de la Feldherrnhalle rappelle également les noms des quatre policiers bavarois qui sont morts en défendant la République contre les nazis.

Hitler a réussi à rassembler dans le Kampfbund les militants nationalistes prêts à en découdre contre la République. Mais le soutien d'une troupe paramilitaire décidée n'a pu parvenir à ébranler un pouvoir en place déterminé à se défendre. En 1917, Lénine a réussi la Révolution d'Octobre avec le soutien d'unités de l'armée et face à un pouvoir quasi-inexistant tandis qu'en 1922, Mussolini a bénéficié de la neutralité de l'armée et du soutien des dirigeants de l'État. Hitler, en novembre 1923, n'a réuni aucun de ces éléments favorables. L'absence de soutien de la police et de l'armée et la capacité de résistance d'un État solide ont conduit son entreprise à la faillite. Mais Hitler saura tirer les leçons de ce désastre.


Bibliographie.
Harold J. Gordon, Hitler and the Beer Hall Putsch, Princeton University Press, 1972.
Joachim Fest, Hitler, jeunesse et conquête du pouvoir, Gallimard, 1974.
Ian Kershaw, Hitler: 1889-1936: tome 1: 1889-1936, Flammarion, 1999.

Didier Chauvet, Hitler et le putsch de la brasserie: Munich, 8/9 novembre 1923, Paris, L'Harmattan 2012.

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